consultation ambition nuérique. Attablé autour d'une grande table je suis entouré d'une dizaine de personnes retraités.

J’ai été médiateur numérique dans une collectivité pendant douze ans. Ma mission principale était d’accompagner les publics dans leurs usages numériques. Mon cadre d’intervention n’était pas défini du tout, ce qui m’a amené à expérimenter de nombreuses formes de médiations différentes. Voici l’une d’elles.

Isolé géographiquement, internet était pour moi l’outil le plus efficace pour être en lien avec l’écosystème de la médiation numérique. Twitter était plus particulièrement mon lieu d’échanges, de veille, d’inspirations et de partages. C’est au détour d’un tweet que j’apprends que le Conseil National du Numérique est saisi pour organiser les échanges sur ce qui deviendra le rapport Ambition Numérique. Une question m’interpelle plus particulièrement. Cette question porte sur l’accompagnement des personnes déconnectées du numérique.  Plusieurs questions s’intéressent aux déconnectés. Or, il n’y avait qu’un seul moyen de répondre à cette consultation : le forum en ligne.

J’y vois alors une contradiction qui frôle l’absurde. Pour participer à une consultation sur les exclus du numérique il faut obligatoirement savoir se servir d’internet. Ainsi donc les premiers concernés sont empêchés, de fait, d’émettre des propositions sur leur quotidien. Dans son rapport précédent (Rapport Citoyens d’une société numérique) , le Conseil National du Numérique plaidait pour un numérique au service de émancipation personnelle. La consultation Ambition Numérique, dans sa forme, fait très exactement le contraire alors que dans le fond les deux travaux se rejoignent. Je décide alors de matérialiser la consultation.

Ainsi je profite d’un de mes rendez vous habituel au sein de la structure soco culturelle dédiée aux seniors de ma commune pour animer un atelier contributif dédiée à cette consultation.  Je recueille alors les remarques et avis de la dizaine de contributeurs du jour. Concrètement, j’ai repris les questions posées sur la plateforme et recueilli les réponses des participants.  Puis j’ai envoyé ces contributions par courrier électronique au Conseil National du Numérique. Je ne m’attendais pas spécialement de réponse et encore moins celle que nous avons reçu.

Nous avons suivi ensuite la consultation au fil de l’eau. Le groupe voulait savoir ce que leur contribution allait devenir. Ce temps a été long, à tel point que nous nous étions fait à l’idée de ne pas avoir de retour . A la remise du rapport je le parcours en diagonale et je découvre alors la valorisation de nos contributions. Le café du web est particulièrement mis en valeur, notamment par le biais de la reprise de la photo utilisée sur Twitter. Sur la quatrième de couverture les contributeurs sont mentionnés et le café du web est logé à la même enseigne que des grandes institutions publiques ou privées. J’imprime ces éléments et je les amène aux participants du café du web. Ils étaient surpris, émus et fiers. Ils m’ont demandé de résumer en quelques mots les orientations du rapport et , nous avons relu leur contribution. Ils ont retrouvé dans les orientations du rapport des éléments qu’ils avaient mis en avant.

Ce jour là, je me suis rendu compte que tout était possible. Je n’aurai jamais imaginé qu’un groupe d’une dizaine de retraités de 80 ans et plus participerait à une consultation remise au Premier Ministre. Et pourtant ils l’ont fait et le bénéfice personnel et collectif qu’ils en ont tiré fût particulièrement important. Je venais de toucher du doigt « l’encacipitation » par le numérique. Mon travail a vraiment changé par la suite. Dans ma pratique professionnelle, je me suis orienté sur ce qui paraissait complexe avec la volonté de le rendre accessible à tous. J’ai travaillé sur les enjeux d’open data avec des élèves d’un CAP menuiserie par exemple. J’ai mobilisé un groupe d’allocataires du RSA sur une concertation en ligne sur le revenu universel , j’ai embarqué des mamans de quartier à un ciné débat animé par un philosophe sur les enjeux démocratiques liés au numérique et j’ai organisé une autre consultation avec le Conseil National du Numérique sur la carte d’identité électronique avec les usagers des centres sociaux. A chaque fois j’ai du imposer mes choix et mettre en jeu ma responsabilité pour convaincre ma hiérarchie. A chaque fois, j’ai pu observer la même réaction chez les participants. Un sentiment de fierté d’avoir contribué, l’espace d’un instant, à des travaux enrichissants; d’être enfin considérés comme des citoyens  à part entière capable de s’investir (et souvent avec pertinence) sur les grands enjeux du numérique.

C’est dans ce moment là que la médiation numérique fait sens, quand elle incarne une ambition.

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