L’histoire de la médiation numérique est très peu documentée. A tel point que j’ai le sentiment que pour beaucoup la médiation numérique ne se définit que dans sa déclinaison contemporaine. La médiation numérique est synonyme d’accompagnement aux démarches administratives , de présentations mortifères sur les dangers du numérique, les risques, les arnaques ou les dérives du numérique. Quand j’ai débuté mes fonctions en 2005, on ne parlait pas alors de médiation numérique. On parlait d’animation multimédia. Tous les animateurs vous le diront, animer c’est littéralement donner de la vie. Force est de constater que la médiation numérique des origines, la médiation numérique émancipatrice est morte. Mais il reste encore quelques médiateurs issus du canal historique qui n’ont pas perdus le souffle d’origine. A l’heure de l’intelligence artificielle, permettez-moi, l’espace d’un instant de vous transporter dans un monde parallèle.
La communauté
Nous n’étions pas tous sur Internet. J’ai pris mes fonctions en 2005, Twitter a été lancé en 2006 ,Facebook a été traduit en Français en 2008 et Viadeo résistait encore à Linkedin. Pourtant nous faisions réseau. Pour ma part j’ai débarqué dans une rencontre de la Coordination Rhône Alpes de l’Internet Accompagné à Saint Quentin en Fallavier en 2008 et très vite je me suis senti comme chez moi. Ce qui prévalait à l’époque , c’était la gouvernance partagée. D’ailleurs c’était tellement une évidence qu’il n’était pas nécessaire de le préciser. Aujourd’hui je vois des Hubs qui sont des « machins » distants qui organisent des ersatz de concertations en deux heures autour d’une visio.
Des rencontres d’Autrans aux assises de Mende
Dans ces rencontres, nous pouvions échanger avec des acteurs de terrain. Par exemple Carole nous expliquait comment dans sa bibliothèque, elle avait mis en place une bibliobox pour un festival du polar. On ne savait même pas ce que c’était qu’une bibliobox. Qu’importe Carole, prenait le temps de nous montrer, de nous expliquer et de nous faire un retour d’expérience pour susciter l’envie de reproduire et d’adapter. Le mieux, c’est qu’il n’y avait pas que Carole. Il y avait aussi Samuel qui nous présentait ses ateliers de musique assistée par ordinateur ou encore Renaud qui nous présentait les monnaies complémentaires. On passait de l’un à l’autre joyeusement, dans un écosystème sain. Bien sur nous avions également des temps d’échange sur le métier, la posture, les enjeux…Il s’agissait avant tout de temps issus du terrain.
Le Numérique en Commun
Aujourd’hui quand je vais dans un événement il s’agit avant tout d’un service d’après vente de la politique gouvernementale. Au Numérique En Commun national, du reste, l’Etat anime les ateliers. Aux Assises de la médiation numérique, c’étaient les animateurs, médiateurs qui construisaient le programme et animaient les rencontres. Aujourd’hui, l’événement national est organisé en vase clos. Tout ce qui peut d’une manière ou d’une autre apporter un regard critique n’a pas sa voix au chapitre. Tant et si bien que j’observe que beaucoup de participants ressentent le besoin de se retrouver entre eux, souvent la veille, dans des rencontres informelles. Il est à noter par ailleurs que les organisateurs de la manifestation officielle n’y participent pas. Deux salles et deux ambiances comme on disait au Macumba.
Intérêt général
On veut nous faire croire à la défense d’un numérique d’intérêt général, là où les intérêts particuliers prédominent. La coopérative des acteurs de la médiation numérique, n’a de coopérative que le nom . En faisant de la médiation numérique un business, on a mis de la concurrence là où on devait mettre de la coopération. A la fin ce sont bien sur toujours les mêmes qui trinquent. Comment est-on passé de l’idée que le numérique pouvait éventuellement contribuer à réduire les inégalités à la construction d’un écosystème dans lequel le numérique fait très exactement le contraire avec la bénédiction de cet écosystème ? En troquant la culture numérique par les démarches administratives, répondront quelques anciens.
La culture numérique
En effet, ce qui caractérisait la médiation numérique originelle, c’était cette volonté de transmettre des éléments de culture numérique à tous. Apprendre à faire, à défaire et refaire; coder pour décoder. Quand nous faisions de l’éducation populaire au numérique, nous nous inscrivions (plus ou moins volontairement) dans la lignée de Barlow, Swartz et Lessig. Les Gafam ont pris le relais et la pensée critique de la société numérique est relayée aux « gauchistes du web ». L’approche émancipatrice a disparu du vocable officiel. L’objectif désormais est simplement d’accompagner l’usager. La médiation numérique utilitariste est devenue la norme, nourrie par une armée de Conseiller Numérique en uniforme réglementaire parés pour combattre la fracture numérique. Il fut un temps où le médiateur numérique était le « hussard noir de la République Numérique ». Il est désormais le pompier de service qui se demande comment accompagner ses usagers à remplir des formulaires en ligne, là où il faudrait lui donner les éléments nécessaires pour remettre en cause cet état de fa;t.
Émancipation numérique
La médiation numérique va droit dans le mur. La coopérative des acteurs de la médiation numérique assure le service après vente de la politique nationale. La parole est fagocitée à tous les échelons pour imposée la pensée unique du numérique d’intérêt général, dernière trouvaille sémantique des communicants. La question qui se pose est de savoir jusqu’à quel point les acteurs de terrain courberont l’échine. Il fut un temps où la position de la fédération des professionnels de la médiation numérique était de reconnaître le métier de médiateur numérique à niveau Bac + 3. Aujourd’hui le médiateur numérique a laissé sa place à un Conseiller Numérique formé en quatre mois et qui est bien heureux de pouvoir voir son CDD payé au smic prolongé. Comment accompagné les usagers à une émancipation par le numérique avec des acteurs aussi dénigrés et malmenés. Une partie de la réponse se trouve dans la capacité des individus à faire collectif. Ce n’est pas la première crise que traverse la médiation numérique. A chaque fois, le collectif a permis de sortir par le haut.
Littératie numérique
L’enjeu de mon point de vue est ainsi de documenter l’histoire de la médiation numérique. Quand on replonge dans cette histoire, on se rend compte que les questions ont largement évolué. Si aujourd’hui la question se pose autour des démarches administrative , il y a dix ans c’était celle de la littératie numérique qui prévalait. Vous voulez savoir à quoi ça ressemble ? Retour une dizaine d’années en arrière où les lieux de médiation numérique accompagnaient les publics à être un citoyen actif dans la société numérique. Beaucoup de ceux qui interviennent dans le champ de la médiation numérique à un haut niveau de responsabilité, n’ont pas cette culture, cette histoire. Celle-ci n’est pas transmise non plus aux nouvelles générations qui intègrent des postes de conseillers numériques. L’adage dit que pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient. Prenez dix minutes pour revenir dix ans en arrière.