Trust us, we're expert

Licence by sa Paolo Massa

Quand je fais des interventions dans les établissements scolaires, ma plus grande difficulté est liée aux écarts entre la commande institutionnelle et la demande du terrain.  En règle générale, l’institution se pose comme « ignorante » des mondes numériques et me contacte en ma qualité « d’expert » pour sensibiliser les élèves aux dangers du web.

Paroles d’experts

Le recours à un expert pour des actions de sensibilisation à l’Education Aux Médias est quelque chose qui me chiffonne en soit.  Cela fait au bas mot une dizaine d’années que j’entends les ministres de l’éducation affirmer qu’il faut intégrer les usages numériques à l’école et malgré cela, on a toujours recours à des « experts » pour des interventions que je qualifierais de basique dans le sens où pendant cet intervalle, on aurait pu, on aurait du former des ressources en interne.

Mission Impossible

Les mondes numériques des adultes sont peuplés de pédophiles à la sortie de l’école, de terroristes joueurs, de harceleurs, pirates, cyberdépendants, et j’en oublie surement. Votre mission si vous l’acceptez est de sensibiliser les élèves à ces dangers du web. Le pire dans ce paysage c’est que malgré votre statut d’expert (donné par l’institution qui passe la commande)  et bien vous aurez bien du mal à expliquer que tout ceci n’est absolument pas la réalité. Et si vous persistez dans l’erreur de croire qu’en votre qualité d’expert vous savez de quoi vous parlez, l’institution auto-proclamée ignorante fera appel à un intervenant qui brosse dans le sens du poil.

Et les élèves alors ?

Prévenus d’une intervention sur les dangers du web, les élèves de cinquième que j’ai rencontré récemment n’ont pas du tout cette perception des mondes numériques. C’est la lecture du billet d’Alexandre (à retrouver sur le site d’elab) qui m’a incité a changé d’angle. Plutôt que de leur donner un discours convenu (mais qui de toutes façons ne me convient pas), je les ai interrogés. Oui j’ai osé demander à des élèves leur avis ! « Quels sont les dangers du web ? » Leurs réponses sont venues confortées  une enquête de Fréquence école publiée en 2010 (à télécharger sur  leur site) . Leurs dangers, leurs craintes ? Les virus, les arnaques et les piratages de compte.  Facebook ? Plus d’un tiers d’entre eux n’y sont pas et ceux qui y sont ne connaissent pas les listes, les paramètres de confidentialité. D’ailleurs ce n’est pas au Collège qu’ils risquent d’apprendre cela, l’utilisation de Facebook est facturée deux heures de colle.  On ne cherche pas à comprendre ce qu’ils y font, cela n’a pas d’intérêt. On sanctionne arbitrairement. Et par la même on condamne l’élève à une utilisation clandestine.

Vous avez dit danger ?

Le danger, c’est vous. Vous qui vivez terrés dans la peur d’une cyber menace indéfinie. Vous qui clamez à torts et à cris que vous savez ce que vous dîtes, parce que ça fait vingt ans que vous faîtes ce métier et qu’on ne va pas vous la faire. Vous qui ne voyez pas que le monde change autour de vous, et qui restez reclus dans votre tour d’ivoire. Vous qui n’avez qu’une seule crainte, perdre le pouvoir que vous croyez avoir et qui êtes prêts à toutes les vilainies pour le conserver. Vous vous êtes trouvés un bouc-émissaire, les mondes numériques. Vous êtes entrés dans une logique de confinement qui pourrait s’avérer exemplaire en Iran ou en Chine.

17 Responses

  1. Loïc,
    Très bien ce papier. A mon avis il faut changer l’angle d’attaque et parler des nombrables possibilités que l’internet nous offre et l’intégrer le « community management collectif » dans le cursus comme un projet d’école… Car actuellement ce n’est ni par les profs, ni par les parents que nos chers têtes blondes apprendrons l’internet. (Je suis convaincu que l’éducation sexuelle est mieux enseignée que la maîtrise des outils web)

    • Tu as raison sur l’angle d’attaque, mais va expliquer ça à un principal de collège. Je peux te dire que même en tant que parent d’élèves, j’éprouve les pires difficultés pour faire admettre les aspects positifs du web. Et je n’ose même pas parler des réactions liées aux jeux vidéos….!

  2. J’ai même cru comprendre par des gens mieux informés que moi que tes conclusions du paragraphe « le danger c’est vous » ne s’applique pas qu’aux acteurs de l’Éducation Nationale. Mais aussi à certains vieux-de-la-vieille de l’Éduc Pop. (mais bon moi l’Éduc Pop j’y connais rien hein)

    • j’ai cru comprendre ça aussi sur d’autres réseaux..il y a beaucoup à faire dans ce domaine. J’ai proposé à plusieurs organismes de mettre en place un approfondissement BAFA « usages numériques »… Sans succès hélas.

      • A chaud et avec ce que je suis (anim’ socioculturelle généraliste qui a eu l’occasion de travailler avec les écoles), on va te dire que les enseignants ne peuvent pas être balèzes dans tous les domaines, et s’ils sont allergiques au mulot c’est encore un autre délire… Je ne vais pas mettre la faute sur l’Education Nationale qui ne semble pas avoir trouvé de créneau pour les mettre au programme, pour de vrai… Reste l’éduc pop… Il y a bien un Bafa design à St Etienne, pourquoi pas un des usages numériques ?! Là encore, l’excuse va être qu’il faut sortir les enfants des écrans, qu’ils y passent bien assez de temps, que ça les coupent des autres, qu’ils faut qu’ils se confrontent à des expériences réelles, et puis le matos a un coût… Et quels usages en particulier mettre en avant, les utiles pour les enfants accueillis ?! Il y en a tellement… « L’écran utile », sous quelle forme ?! Former les enfants aux «  »dangers d’internet » », c’est diabolisé l’outil, alors qu’il s’agit là d’accompagnement à l’usage, à l’esprit critique. Pour les dinosaures, ils ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas (ce qui est valable pour n’importe qui !), et comme certains ne veulent pas connaître, ben on n’est pas rendus… Pauvres matrus… 😉

  3. Lors de mes interventions dans les collèges ligériens dans le cadre de Fréquence Écoles, j’ai principalement eu des échanges de de type :
    – Ah c’est vous qui venez pour les dangers d’Internet ?
    – Non, je viens plutôt pour les opportunités d’Internet
    – Ah oui, d’accord. N’oubliez pas de leur dire que Facebook c’est le Mal
    – …

  4. Tiens à l’inverse :
    Refonder l’école ou la flipper ?
    « Marcel Lebrun est enseignant à l’Université catholique de Louvain à Louvain-la-neuve, dans la partie francophone de la Belgique. Il est connu en tant que techno-pédagogue, ce qu’il définirait comme « quelqu’un qui essaie d’associer les promesses du numérique avec une Ecole qui doit évoluer avec la société ». Le thème de la prochaine Université d’été de Ludovia, « imaginaires et promesses du numérique en éducation » l’a beaucoup inspiré et il nous développe sa pensée sur plusieurs épisodes ; dans ce quatrième volet, il est question de Refonder l’école ou la « flipper »… »
    http://www.ludovia.com/2013/06/refonder-lecole-ou-la-flipper/

    Et un Scoop.it qui va bien : « MOOCs, E-learning, éducation numérique » : http://www.scoop.it/t/moocfrancophone

  5. Et si éduqué au numérique c’était une animation :
    – sans écran
    – en pleine nature
    – permettant de tester ses limites à l’âge de la construction
    – développant sa « vie communautaire, intime, son réseau » … à distance des adultes
    – de rompre l’isolement familial
    – d’échanger à l’autre bout de la terre
    – de demander à mon voisin de palier si il lui reste un peu de pain
    -…. (on pourrait mettre tellement d’autres exemples que je me limite)
    Si vos collégiens vous accepte sur Facebook demandez-vous ou ils vont pour construire et partager leur intimité lié à leur communauté ?
    Bien sur les fédérations d’éduc pop ne l’ont pas encore intégré (ou pas assez!) dans leur formation BAFA car leur pédagogie sont déjà à la marge du système éducatif scolaire. Continuons d’être à la marge de la marge pour permettre d’innover, créer, développer, s’ouvrir, faire participer, échanger… car tant qu’on aura pas compris que le numérique n’est qu’un prolongement de la vie, de notre vie on peut se poser la question de l’intérêt d’apprendre, d’éduquer, d’accompagner un enfant, un jeune, un demandeur d’emploi, ma mamie (petite dédicace personnelle au passage) à découvrir son univers ?
    Est-ce qu’il vaut mieux savoir lire une carte papier ou savoir utiliser une application sur un petit smartphone ? Est-ce qu’il faut connaitre la page de la recette de cuisine du livre de ma chère grand-mère ou se rendre sur mamiton (désole pour la faute d’orthographe je ne voulais pas faire de pub ça serait orienté le choix!) ?
    A chacun de choisir tant qu’on sensibilise aux bons usages… les livres ont longtemps été condamnés d’ailleurs, voir diaboliser… mais on a du mal à se souvenir de l’histoire (pardon l’Histoire) et d’en retenir les conclusions.
    Alors oui je veux bien être un diable si je bouscule les habitudes, si je modifie les idées préconçues, si le programme ne dicte pas ma conduite… mais je n’ai pas qu’une sensation d’avoir le choix mais bien de construire mes choix…
    Alors innovons pour apprendre à choisir même si la route est encore longue…. elle force le respect d’utiliser ou non le numérique mais en connaissance de cause (tout ça pour conclure sur le fait que les titres « dangers d’Internet » ou « bons usages d’Internet » ne sont pas meilleurs l’un que l’autre !)

  6. Très bonne analyse du lien entre l’institution et les experts extérieurs. Même sensation sur la question du handicap. Même ignorance autoproclamée. La loi permettant l’inscription des enfants en situation de handicap dans les collèges « normaux » date pourtant de 2005. En 8 ans, on aurait aussi pu imaginer que les ressources se développeraient en interne. Même volonté de ne surtout pas voir que le monde bouge de ce côté là aussi et que c’est plutôt à l’honneur de notre société. Même impossibilité de porter un discours un peu novateur du genre: on peut ne pas pouvoir écrire et avoir 18 de moyenne en travaillant sur ordinateur. Impossible ! Me répond-t-on. C’est de la triche. C’est injuste par rapport aux autres. Difficile vraiment de lutter contre ces mélanges de préjugés et de peurs. Ca me rassure de voir que vous vous y confrontez aussi sur une autre question. Maintenant ce qu’il faudrait comprendre, c’est comment faire pour libérer l’école de ce carcan dans laquelle elle s’auto-enferme ?

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