Le mot inflation vient d’entrer dans notre vocabulaire quotidien et n’est malheureusement pas prêt d’en sortir. La tendance est ainsi à la débrouille et au système D pour faire baisser la facture. Récemment encore j’entendais sur les ondes d’une radio nationale une chronique sur le applications nous permettant de faire des économies. Par déformation professionnelle, j’ai d’abord pensé à tous ceux qui sont très éloignés du numérique et puis en reconsidérant le problème j’en suis vite arrivé à la conclusion que dans tous les cas cela ne pouvait être une solution.
Numérique et consommation
La chronique radio mettait en avant des applications de comparateur de prix en supermarché. Elle évoque par exemple le site d’une grande association de défense de consommateur qui compare les prix des magasins à côté de chez vous. Elle omet de préciser que ce comparatif ne se base que sur les tarifs des Drive. Ainsi les deux supermarchés qui sont à moins de 500 mètres de chez moi et qui ne proposent pas de Drive ne font pas partis du comparatif. Toute méthodologie a ses limites et il est important de l’intégrer pour en avoir un usage approprié.
La chronique poursuit ainsi : »en ce moment, tous les hypermarchés se font concurrence, avec des opérations anti inflation. Leclerc met en place un bouclier tarifaire sur une centaine de produits, il compense les hausses via des tickets Leclerc. Chez Lidl , c’est un bon de réduction de 5% offert à partir de 50 euros, mais çà passe via l’application Lidl que vous devez télécharger.
Pareil chez Intermarché, qui propose des réductions pour les plus modestes, il faut prendre la carte Intermarché et remplir un questionnaire avec votre justification de quotient familial »
Donc tous les systèmes de bonification ou de fidélisation du client sont liés a des compétences numériques minimales. Or les études montrent que les personnes aux plus faibles revenus sont aussi les personnes les plus éloignées du numérique. Parmi ces personnes en difficulté sociale, une partie non négligeable n’a tout simplement pas accès à Internet et encore moins via un smartphone.
Revers de la médaille
Non seulement ces applications ne ciblent pas le publics les plus en fragilité, mais en plus elles ne sont pas sans effet collatéraux. En premier lieu les enseignes de supermarché peuvent ainsi exploiter tout un lot de données personnelles plus ou moins justifiées. Par exemple, je m’interroge sur la légitimité de demander un justification de quotient familial pour un supermarché dans le cadre d’une offre commerciale. Quoiqu’il en soit la valeur des données personnelles confiées au supermarché est bien supérieure à la ristourne obtenue. Sur ce point, il semblerait que l’utilisation des données personnelles se fasse dans le désintérêt général des publics. Ce champ spécifique est à mon sens à explorer encore et encore pour l’ensemble des acteurs de la médiation numérique.
Enfin les applications peuvent avoir des effets de bord. Vous connaissez cette application qui vous signale les produits a date courte a -30% ? Depuis qu’elle existe les dons à la banque alimentaire des supermarchés ont considérablement baissé . Ces dons sont ensuite remis à des associations de lutte contre la précarité alimentaire comme les restos du cœur. De plus la majeure partie de ceux qui se servent de cette application de lutte contre le gâchis alimentaire le font plus par plaisir ou opportunité que par besoin vital.
Changement de paradigme
Nous avons d’un côté des familles en situation de précarité alimentaire et de précarité numérique. J’ai travaillé dans une collectivité dans laquelle les restos du cœur suivaient 100 familles régulièrement. Le suivi est rarement ponctuel et peut même perdurer pendant plusieurs années. C’est une chose que de livrer des colis alimentaires en dépannage ponctuellement, c’en est une autre que d’avoir une aide au long cours sur une famille avec enfants pendant quatre ou cinq ans. Le numérique peut nous aider à qualifier le problème dans l’ entièreté de son étendue, c’est ainsi que nous pourrons mettre en place des politiques publiques plus efficaces.
Sur les communes importantes , il y a souvent plusieurs associations qui interviennent. Chacune d’entre elle a son propre suivi tant et si bien qu’il est difficile d’avoir des données fiables à l’échelle du territoire. La précarité alimentaire entraîne d’autres précarité comme la précarité hygiénique ou la précarité sanitaire. Là encore , les réponses sont souvent sectorisées sans continuum d’accompagnement.
Les acteurs du « bien manger » passent rarement par des applications. Ils n’ont pas les structures nécessaires pour financer de tels outils. ces acteurs sont ceux du réseau vrac, des Amap, des marché, des petits commerçants et autres producteurs locaux. Il y a des synergies à créer autour de plan alimentaire territoriaux. Il y a ainsi de nouveaux écosystèmes à imaginer; des écosystèmes plus agiles, plus éthiques et à l’échelle d’une communauté. Les acteurs historiques de la médiation numérique ont toujours porté en eux cette culture du faire-ensemble, des communs. Plus que jamais le numérique peut être mis au terme du lien social y compris et surtout dans nos manières de le repenser.