Mon Espace Santé est lancé depuis le début de l’année et peine encore à s’installer dans le quotidien des Français. Les acteurs de la médiation numérique sont mis à contribution pour accompagner les publics les plus éloignés à l’activation de leur compte. La Direction du Numérique en Santé met beaucoup de ressources à disposition et les Agences Régionales de Santé assurent un relais efficace. Les acteurs de la médiation numérique ont même été associés dès le début du projet pour pouvoir embarquer les publics en difficulté avec le numérique. Pourtant, même si on ne peut pas réellement parler d’échec à ce stade, il reste encore beaucoup de chemin à accomplir avant de parler de succès. A la lumière des témoignages que je recueille de la part de professionnels de la médiation numérique, de public vulnérables, mais aussi de publics non vulnérables, je vous propose ici mes premières éléments d’analyse.
Un héritage complexe.
Le service Mon Espace Santé est arrivé au mauvais moment. La crise du Covid a accru la défiance de beaucoup de Français vis à vis du numérique. Les ratés de Stop Covid et les théories du complot ont entravé la bonne intégration de Mon Espace Santé. De plus, le confinement sec a mis en exergue les ravages de la dématérialisation tout azimut pour une bonne partie de la population française. Les conditions de réussite n’étaient pas réunies pour que Mon espace Santé soit adopté massivement.
La Direction du Numérique en Santé a également opté pour une stratégie du Opt Out pas nécessairement claire pour l’usager. Nous avons chacun reçu un courrier nous indiquant que notre espace santé allait être crée sauf avis contraire explicite de notre part. Une fois le délai de rigueur passé , notre compte a été crée . Mais pas activé….
Pour activer son espace il faut saisir les codes reçus six semaines plus tôt. Autant dire que ces codes ont massivement été perdus. Et si vous voulez vous opposer à la création de votre compte, la procédure n’est guère plus simple. En effet pour supprimer son compte il faut le créer au préalable !
Un démarrage hasardeux
Une fois passée l’étape de la création, il est temps de se servir de son espace santé. Chacun peut donc autoriser son médecin à avoir accès à tout ou partie de son espace personnel. Encore faut-il que les médecins aient eux-mêmes créés un compte professionnel….
Votre médecin peut vous envoyer des messages (mais pas l’inverse), sauf que cette fonctionnalité n’était pas présente dès le début.
Dans un troisième temps, vous pourrez prendre rendez vous avec lui mais la brique fonctionnelle n’est, elle non plus, pas encore prête.
Le calendrier électoral a précipité le lancement de Mon Espace Santé. La solution n’était pas prête pour des usages qui auraient pu faire adopter Mon Espace Santé. L’alternative était d’hypothéquer ce lancement après les élections présidentielles., voire même en janvier 2023 . Les enjeux en matière de santé publique l’ont emporté .
Malgré ce démarrage poussif, tout n’est pas perdu, les marges de manœuvre sont importantes pour permettre une adoption massive.
Les conditions de réussite
J’en ai parlé dans mon petit guide de la dématérialisation, pour qu’un service numérique fonctionne il faut qu’il corresponde aux besoins de l’usager, et non du ministère. Le premier besoin en terme de santé est de trouver un professionnel pour une prise en charge. On manque de généraliste à peu près partout. Les publics en difficulté numérique cumulent très souvent d’autres difficultés. Certains usagers ont du mal à trouver un médecin traitant. Bien que celui-ci ne soit pas obligatoire, le médecin traitant garanti un meilleur remboursement. Il est possible de saisir le médiateur de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (voir sur le site de la CPAM) pour expliquer ses difficultés à trouver un médecin traitant. Après un examen attentif, si le dossier relève de sa compétence, le médiateur le prendra en charge jusqu’à sa résolution. La démarche pourrait être simplifiée, numérisée et rendu accessible depuis Mon Espace Santé.
Mon Espace Santé doit devenir rapidement un espace ressource en terme de santé. Les femmes enceintes, les parents, les seniors, tout le monde se pose des questions en terme de santé,pour soi ou pour ses proches. Mon Espace Santé doit être la pierre angulaire d’une stratégie d’ensemble en terme de santé publique et devenir avant tout un espace de ressources pour tous. La marque « Mon espace Santé » soit s’imposer stratégiquement comme une marque de confiance. Pour cela Mon Espace Santé doit prouver son utilité. Ainsi dans quelques jours, comme chaque année la campagne Octobre rose dédié au dépistage du cancer du sein va débuter. Que va concrètement apporter Mon Espace Santé aux femmes qui se questionnent ou qui sont atteintes de ce cancer ?
Démocratie sanitaire et médiation numérique
Les questions de médiation numérique et de démocratie sanitaire sont intimement liées. La question du traitement des données et même de leur hébergement fait partie des interrogations récurrentes sur Mon Espace Santé. Mais au-delà de ces aspects la médiation numérique est indispensable pour aborder les questions de santé numérique. Le moteur de recherche Google a transformé le quotidien de nombreux médecins qui voient arriver des patients ayant déjà réalisés leur propre diagnostic. Parfois, ces mêmes patients appliquent leurs propres remèdes en appliquant des traitements qui n’ont rien à envier aux bonimenteurs du far-west (on pourra relire cet article sur les mésaventures de Jacqueline). D’autres fois, les citoyens sont en recherche d’information sur une question d’ordre médicale. La capacité d’analyser le vrai du faux devient particulièrement cruciale quand une jeune fille cherche à savoir quoi faire en cas de grossesse. Les questions de sexualité sont occultées de l’espace public et l’éducation sexuelle se fait avec Jacquie et Michel.
La télémédecine, jusque là confidentielle, a fait irruption dans le quotidien des Français à la faveur du confinement. Les objets connectés rendent de nombreux services à nos seniors en particulier. Les débats sur les effets de la 5G n’ont jamais été tenus dans l’espace public. Les délires technophobiques sur les écrans se nourrissent de théories hasardeuses alimentées parfois par des professionnels de santé. Les médias en rajoutent en leur tendant micros et caméras renforçant leur crédit et leur pouvoir de nuisance. Les acteurs de la médiation numérique sont parfois les derniers remparts d’une société qui sombre dans la folie collective. Les besoins associant santé et numérique sont nombreux et vont aller en grandissant.
La santé , bien commun de la société numérique
Dans son rapport de 2015 sur la santé, bien commun de la société numérique, le Conseil National du Numérique recommande de développer la littératie numérique des patients, professionnels de santé et du secteur médico-social.
La disponibilité d’une pléthore d’informations, d’acteurs, de services de santé en ligne ne doit pas être le prétexte à une autonomisation qui sonnerait comme un abandon. Au contraire, elle doit s’accompagner d’engagements forts en termes de médiation, d’accessibilité, et de littératie, condition sine qua non de l’augmentation du pouvoir d’agir tant individuel que collectif.
Ce qui caractérise un commun, c’est son mode de gestion. Il convient de redonner toute la place nécessaire à l’usager en tant qu’acteur de sa santé. La santé en tant que commun, doit se concevoir comme un usage et non comme une appropriation. Or depuis quelques années nous assistons à l’émergence de licornes numériques qui privatisent certains pans de ce commun. Je pense, tout particulièrement, à la prise de rendez-vous qui transforme la santé en bien de consommation . Les récents changements dans l’application phare du marché ont jeter l’opprobre tant sur le secteur de la santé que sur celui du numérique.
Il importe de développer tous les leviers propres à la littératie numérique, par la mise en place de référentiels communs en santé numérique et l’élaboration de programmes d’éducation spécialisés. La clef d’un consentement éclairé repose en effet sur la capacité critique des individus à évaluer le potentiel et les risques des usages de leurs données personnelles.
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