Le 31 août c’est la journée mondiale du blog. Je profite donc de cette occasion pour parler d’un blog que je connais bien : le mien. De plus cette année, j’ai franchi un cap symbolique puisque cela fait dix ans que ce blog existe. Dix ans que je me penche sur la médiation numérique. Entrer dans les coulisses de ce blog, c’est aussi poser un regard sur l’évolution de la médiation numérique à travers ces années.

Origines

J’ai crée le blog médiateur numérique en mai 2010. A aucun moment je me suis dit que j’allais le faire vivre pendant dix ans et plus. A la base, je souhaitais expérimenter la création d’un blog. Techniquement, je savais comment m’y prendre, mais concrètement je n’avais pas d’idée de ce que cela signifiait que de publier des articles régulièrement.

Dans ma pratique professionnelle, je me posais beaucoup de question sur la façon d’accomplir mes missions au quotidien et sur le sens de celles-ci. Je n’avais pas d’homologues à moins de 100 kilomètres à la ronde. Internet était un moyen d’échanger avec des pairs J’en trouvais très peu qui documentaient leurs actions, ou partageaient leurs interrogations. C’est ainsi que je définissais ma lignée éditoriale. Le blog du médiateur numérique aurait pour vocation de s’interroger, de réfléchir sur mon quotidien professionnel et de proposer des pistes d’action.

D’animateur multimédia à médiateur numérique

Le nom est venu dans un deuxième temps. Officiellement sur ma fiche de poste j’étais animateur multimédia. Mais à chaque fois que j’évoquais mon travail, on ne retenait que le terme « animateur ». On me posait beaucoup de question sur les centres de loisirs ou les séjours d’été. La confusion était d’autant plus grande que j’étais rattaché au service jeunesse de ma collectivité avec l’équipe d’animateurs (jeunesse). Sur le nommage du site, je trouvais surréaliste de donner mon nom à ce site. Qui irait chercher mon nom sur internet pour avoir une réponse sur l‘art et la manière de faire un tutoriel ? Je ne pouvais pas nom plus faire de blog celui d’un animateur multimédia. C’était un contre sens à mon quotidien. C’est en échangeant avec une collègue médiatrice du livre qu’est née cette évidence. J’invite à relire cet état des lieux dressé par Annie Jogand. Remplacez médiateur du livre par médiateur numérique. C’est comme cela que j’ai choisi ce terme.

15 ans plus tôt.

J’ai pris mes fonctions d’animateur multimédia en juin 2005. Mes missions tenaient en quelques lignes. Il s’agissait d’une part d’apprendre au public à se servir d’internet et d’autre part de les aider et les accompagner au quotidien. Concrètement le matin j’étais prof d’informatique. Mes élèves étaient de jeunes retraités. Mon quotidien consistait à leur apprendre à se servir d’un moteur de recherche, à envoyer un mail, à rédiger une lettre sur World et trier et ranger des photos. Je neme posais pas de question. J’étais tranquille, peinard. J’avais même des boites de chocolat à Noël !

L’après-midi, j’étais gérant de cybercafé. En 2005, beaucoup de personnes n’avaient pas  accès à Internet à domicile. Ils venaient à l’Espace Public Numérique, je leur assignais une machine et leur donnaitsun coup de main si besoin. Ce coup de main consistait le plus souvent à mettre du papier dans l’imprimante.

Les dangers d’internet

Et un jour le Collège voisin a appelé. Deux garçons s’étaient battus dans la cour de récréation à cause de propos tenus sur internet. Le Collège souhaitait profiter de l’occasion pour caler une intervention sur les dangers d’internet. Alors j’ai exploré la toile et parcouru des centaines de blogs. Pendant mes premières années, j’ai axé mon travail sur les pratiques numériques des jeunes. Toujours rattaché au service jeunesse, cela pouvait donner du sens au travail en équipe. Très vite, j’ai senti le fossé se creuser entre mes collègues animateurs jeunesse et moi-même. Bien que nous travaillions avec les mêmes publics, nous avions des visions différentes de leurs pratiques. Beaucoup d’institutions ont mis du temps avant de s’appréhender du sujet. Je me rappelle avoir présenté mon action au prix du Forum Français de la Sécurité Urbaine. J’en discute avec un des dirigeants de l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine qui m’explique qu’on a pas pu me remettre un prix parce que ça concernait Internet. Très longtemps, l’institution a considéré qu’Internet était virtuel. Même quand les conséquences se passaient dans la cour. Dans le même temps, beaucoup d’élèves ont grandi en pensant qu’ils pouvaient agir sans crainte de conséquence. Jusqu’à ce que ces conséquences se transforment en jours d’exclusion par exemple.

La parentalité numérique

Je suis passé de séance de sensibilisation aux dangers d’internet à des séances de création avec l’outil multimédia. J’embarquais des jeunes avec moi et on faisait des reportages vidéos dans les rues de la ville. Je continuais de passer dans les établissements pour faire de la prévention dans le même temps.  Certains m’ont trouvé sur Facebook et en ont profité pour m’adresser des demandes parfois très pratiques (pour savoir si j’étais ouvert par exemple). D’autres ont abordé des aspects plus personnels. C’est par l’expérience que j’ai fait mes premiers pas de Promeneur du Net. Le programme n’a jamais été déployé dans mon département, mais je l’ai toujours suivi avec grand intérêt. Puis petit à petit je me suis mis à parler de parentalité numérique. J’ai déconstruit certaines visions un peu trop raccourcies sur le jeu vidéo par exemple. En grandissant les jeunes avaient encore besoin de conseils sur l’identité numérique, sur la façon de faire un CV. Et il n’y avait pas qu’eux.

Emploi

2008 a été un tournant. C’est à partir de cette date là que Pôle Emploi a mis en ligne les offres d’emploi. Ce passage du papier au numérique a été fait de manière autoritaire et abrupte sans prendre en considération les demandeurs d’emplois. En 2008, le taux d’équipement à Internet à domicile pour les demandeurs d’emploi était faible, le smartphone n’existait pas. Les demandeurs d’emploi se sont alors orienté vers le seul lieu d’accès public à internet de la commune. Pendant plusieurs années 40% des visites en accès libres de l’Espace Public Numérique étaient en lien direct avec l’emploi. Les missions du quotidien ont pris un nouveau virage. Quand Michel vous montre son CV pour savoir ce que vous en pensez, vous pouvez lui expliquer vingt fois que ce n’est pas le cœur de votre métier. Tout ce que voit Michel c’est que vous l’accompagnez sur les fautes d’orthographes, sur l’insertion de sa photo, l’impression en PDF par exemple. Il sait également, que vous donnez des ateliers sur l’utilisation de Linkedin, et qu’il peut entre deux candidatures jeter un œil sur son compte Facebook. Moi, j’avais l’impression d’être un sous-traitant de Pôle Emploi, sauf que Pôle Emploi ne me dédommageait pas pour le service rendu à sa place. Je n’étais pas reconnu pour le travail effectué. Et je n’étais pas le seul.

Les hussards noirs

C’est à Ajaccio en 2011 qu’ont eu lieu les premières assises de la médiation numérique. Pour la première fois, la médiation numérique prenait vie. Je me suis toujours demandé comment les organisateurs avaient eu l’idée de ce terme. Toujours est il que beaucoup d’animateur multimédia ont cherché à savoir ce qu’était un médiateur numérique. Tout naturellement ils ont saisi la requête sur leur moteur de recherche. Tout naturellement, ils ont atterri à cette adresse. Le numérique et la médiation étaient mis à toutes les sauces. Le mot d’ordre était « pas de dématérialisation sans accompagnement ». Le conseil national du numérique en a fait l’objet d’un rapport. Les rapports , les avis, les recommandations se sont empilés, et même la ministre à l’assemblé nationale déclarait qu’il fallait donner un statut aux médiateurs numériques.

Incapable de s’organiser la médiation numérique a loupé le coche. Cela aurait même pu être pire. Dans la première version de la loi République Numérique, le terme de « médiation numérique » n’apparaissait nul part. Aujourd’hui il n’y a plus d’assises de la médiation numérique. En lieu et place, le gouvernement soutient des « Numérique en Communs », des événements où la question de la médiation numérique est diluée parmi d’autres. Des événements dans lequel on se pose ouvertement la question de savoir si il faut en finir avec les médiateurs numériques. Il y a encore quatre ans nous étions les hussards noirs de la République Numérique…

Travailleurs Sociaux

Petit à petit, nous avons reçu de nouvelles demandes à notre quotidien de médiateur numérique. De plus en plus en de personnes sont venues avec des demandes à caractère social. Ces personnes en difficulté venaient avec une difficulté technique relevant de notre compétence. Par exemple, la personne n’arrivait pas à télécharger une attestation de la CAF et avait besoin d’une aide en ce sens. Cette personne pouvait être envoyée par un travailleur social. Ce dernier s’en remettait au médiateur pour utiliser l’ordinateur. Le travailleur social déléguait la partie numérique de sa tâche au médiateur numérique. Sauf que l’usager ne percevait pas les limites d’intervention de l’un ou l’autre. En mettant un doigt dans l’accompagnement par la porte numérique, le médiateur numérique s’engouffrait dans le travail social sans filet. Se faisant, le travailleur social se sentait de son côté démuni.

La question des limites d’intervention des uns et des autres étaient au centre des préoccupations. Chacun faisait de son mieux en bricolant. L’essentiel était ailleurs. Du côté médiateurs numériques, bibliothécaires, travailleurs sociaux, nous étions désarçonnés par l’impact du numérique sur nos pratiques professionnelles. L’impact était démultiplié pour les usagers. Le numérique rendait encore plus visible l’ampleur de la fracture sociale.

Démarches administratives

A chaque problème , il existe une solution. Le médiateur numérique a désormais pour mission de permettre aux citoyens d’avoir accès aux démarches administratives. L’État appuie en ce sens en développant des outils facilitant le travail des professionnels. Le dispositif Aidants Connect va permettre de faire les démarches à la place de l’usager en étant couvert juridiquement. Le programme Pix va permettre lui de mesurer la montée en compétence de l’usager. Et les Pass Numérique vont permettre de financer en partie cet accompagnement. La médiation numérique aujourd’hui c’est accompagner les français éloignés du numérique dans leurs démarches (administratives) du quotidien.Le modèle ne repose plus sur le médiateur numérique. Désormais ce sont des franchises privées qui profitent le plus de ces financements publics.

On rappelle au passage que c’est également l’Etat qui a conçu ces mêmes démarches administratives numériques censées simplifier le quotidien des citoyens. On attend toujours avec impatience la remise en cause de la conception de ces solutions. Le médiateur numérique pourrait être une aide précieuse pour co-concevoir des services numériques.

Société numérique

Quand j’ai débuté dans ce métier c’était la Délégation aux Usages à Internet qui était la structure référente au niveau de L’État. La mission de cette structure était « d’amplifier, d’encourager, d’impulser le développement de l’internet et des nouvelles technologies pour tous les publics avec une attention tout à fait particulière pour les personnes en situation défavorisée ou dépendante. » Puis la DUI a laissé la place à la Mission Société Numérique.Elle a « vocation à accompagner la transition numérique des territoires en matière d’usages, d’accès aux droits et de services.

Elle soutient le développement des structures de culture et de médiation numériques ainsi que des tiers-lieux. Les actions qu’elle porte sont toutes orientées vers la mise en capacité des collectivités territoriales et acteurs locaux à se saisir des opportunités numériques. »

Pour pouvoir faire société avec le numérique, nous devons le comprendre. Nous devons permettre aux habitants d’être des citoyens en leur permettant d’appréhender les enjeux liés au numérique. Nous n’avons pas besoin de savoir télécharger une attestation. Il ne nous est pas spécialement utile d’apprendre à coder ou de manipuler la data. Par contre il est indispensable de pouvoir donner un avis sur les questions qui font société. Et ces questions ont rapport au numérique. Le numérique accroît les inégalités. Il pourrait tout aussi bien les réduire. La technologie est neutre, pas son usage.

Horizons

Plus de 300 articles plus tard, je suis encore là à défendre une certaine idée de la médiation numérique. J’ai la profonde conviction que le numérique peut permettre l’émancipation de chacun, y compris de ceux qui ont le plus de difficulté. Il faut ouvrir les chakras : ne plus regarder les limites, mais contempler le champ des possibles du numérique. Il ne faut pas plus se demander si on a le droit de faire, mais si c’est notre devoir. Nous avons dans nos gênes la culture du hacking, servons-nous en pour libérer les énergies. Il ne faut plus attendre l’avis d’un supérieur mais s’appuyer sur l’expertise de la communauté. Nous devons réinventer notre quotidien, le réenchanter. Qui a sérieusement envie d’apprendre à faire une télédéclaration ? Personne. Ni nous, ni moi. Et encore moins ceux qui sont éloignés du numérique. Quelles sont les questions auxquelles vous souhaitez vraiment répondre ?  Éduquer aux médias, renforcer l’employabilité, lutter contre la précarité, s’affranchir des Gafam, apprendre à apprendre, innover, accompagner à la parentalité, lutter contre le réchauffement climatique…nous avons l’embarras du choix dans nos défis. Quant à moi, modestement, je vous livre, ci-dessous, une proposition de formation en ce sens. Je me déplace en France entière et au-delà si besoin et reste à votre disposition pour échanger davantage. Ouvrons de nouveaux horizons.

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