panneau multidirectionnel urbain orientant vers la bibliothèque, les bues, la gare et autres

« Nous attendons des médiateurs numériques qu’ils accompagnent les Français éloignés du numérique dans leur prise en main de notre outil ». Cette phrase anodine prononcée au cours d’une présentation dudit outil m’a amené plusieurs réflexions que je vais vous livrer dans cet article. L’outil en question n’a guère d’importance, ni même l’identité de la structure qui a conçu cet outil. J’ai eu le sentiment que l’oratrice percevait les médiateurs numériques comme des « prestataires extérieurs » , mais surtout qu’elle avait en-tête de les missionner sur des actions qui ne relèvent pas, de mon point de vue, de leurs missions. Aussi à travers ce billet je vous propose quelques clefs de lecture pour mieux appréhender les missions, le rôle et la posture du médiateur numérique.

L’écosystème des médiateurs numériques

Les médiateurs numériques sont pour leur immense majorité des salariés de structure publique ou de structures privées. Certains d’entre eux sont des indépendants agissant avec un statut d’auto-entrepreneur. Pour le dire simplement, seuls les employeurs sont en droit d’avoir des attentes vis-à-vis des médiateurs numériques. Les autres intervenants, et en particulier les intervenants de l’Etat, ne peuvent pas , à proprement parler avoir des attentes.

Les médiateurs numériques ne sont pas organisés en branche professionnelle. Il n’y a pas de syndicat de la médiation numérique. La seule tentative en l’espèce fût celle-celle de la fédération des professionnels de la médiation numérique qui n’a pas réussi à s’imposer.

La coopérative « LaMedNum » quant à elle est une coopérative des acteurs de la médiation numérique. Elle ne représente pas non plus les médiateurs numériques. Il y a bien sur des médiateurs numériques qui en font partie, mais au même titre que d’autres structures qui n’en embauchent pas. La coopérative fédère un écosystème auquel appartiennent les médiateurs numériques. Au mieux elle peut relayer, promouvoir, encourager, appuyer, faciliter une démarche mais, in fine, le libre choix d’adhérer à cette démarche revient à chaque employeur.

Design des services numériques

La formulation de cette oratrice était d’autant plus maladroite qu’elle ouvre la porte à un biais. L’accompagnement à un service numérique doit incomber à celui qui conçoit l’outil et non à un tiers sauf à ce qu’il y ait un accord cadre (incluant une compensation financière) entre les deux parties. Tel n’est pas le cas , d’autant que le concepteur espère en plus un engagement volontaire et désintéressé sur son produit. Cela serait possible si la médiation numérique était un service public d’Etat, ce qui de surcroît pourrait répondre aux attentes de beaucoup de médiateurs numériques.

L’autre biais que ce type de raisonnement pourrait entraîner est dans la conception des services numériques. Si chaque opérateur intègre qu’il y aura toujours un médiateur numérique pour accompagner sur son service, il n’est pas certain qu’il investisse outre mesure dans sa conception. La mauvaise conception des services numériques est très régulièrement citée parmi les causes principales d’abandon. S’il s’agit de formuler des attentes, il me paraît légitime d’attendre des concepteurs de ces services numériques la mise en place d’outils non excluant.(A toutes fins utiles, je les invite à relire mon guide de la dématérialisation) Une fois ce préalable passé, la question de l’accompagnement peut s’envisager.

Les médiateurs numériques sont pour leur part toujours en attente de site miroirs de la part des administrations qui les sollicitent pour faire monter en compétence numérique les usagers.

Rôle et posture du médiateur numérique

La question de fond qui se pose est celle du rôle du médiateur numérique et intrinsèquement des limites de son rôle. C’est un point qui fait toujours l’objet d’échanges passionnants et passionnés mais qui nous ramène à un questionnement plus large sur les enjeux de médiation numérique. Je le répète régulièrement le rôle du médiateur numérique c’est de permettre à chacun de faire des choix éclairés dans une société numérique.

Dans le cas qui nous préoccupe la mission première du médiateur numérique est de donner tous les éléments nécessaires à l’usager pour qu’il puisse choisir d’utiliser ou de ne pas utiliser le service numérique en question. L’oratrice , quant à elle, avait bon espoir que le médiateur numérique soit relais-prescripteur de son outil. Le médiateur numérique informe ; il ne convainc pas. Il donne les éléments clés pour que l’usager prenne sa décision seul. C’est ce qui caractérise l’autonomie numérique : le cœur du métier de médiateur numérique.

Dans un second temps, il peut effectivement aider à la prise en main opérationnelle de l’outil. Là encore il est important de fixer des limites et elles me semblent claires. Le médiateur numérique accompagne sur le contenant mais pas sur le contenu.

Le médiateur numérique peut vous expliquer le fonctionnement d’une page Facebook. Il peut également vous donner quelques principes pour rédiger des publications efficaces, mais il ne rédigera pas vos messages.

Pour votre recherche d’emploi, il vous accompagnera sur la prise en mains d’outils de création de CV en ligne par exemple et vous montrera comment effectuer une recherche sur Pôle Emploi, mais il ne va pas saisir votre CV, ni effectuer les recherches pour vous.

Souvent le médiateur numérique est sollicité pour une fonction de conseil. Son conseil doit s’arrêter aux limites de la loi, de la science, des règles de l’art. L’avis subjectif sur votre CV ne vaut pas grand-chose. Ce que je pense être bon pour moi ne l’est pas pour vous ; et inversement.

Le médiateur numérique va accompagner sur les aspects manipulatoires et sur l’impact de ces manipulations. Il peut montrer comment rendre une publication publique, comment la sponsoriser et en même temps donner les éléments de culture numérique indispensables pour opérer ces choix avec leurs avantages et leurs limites.

L’urgence socio-numérique

Nous ne le savons que trop bien. Nombre de personnes n’ont pas suffisamment de compétences techniques. Elles ont besoin que  quelqu’un agisse à leur place. Le cas d’urgence socio-numérique doit être considéré comme une exception. Il s’agit de toutes les situations dans lesquelles une absence d’intervention empirerait la situation de l’usager.

Au-delà de ces cas d’urgence socio-numérique, la posture du médiateur numérique n’implique pas de faire à la place de. Son rôle est  d’apprendre à faire et de comprendre comment faire (ou ne pas faire).

Une fois que cela est dit, la question qui en découle est celle de savoir à qui ce rôle est dévolu. Dans l’écosystème de la médiation numérique cette fonction de « faire à la place de » n’est pas clairement définie. Comme elle n’est pas clairement définie , elle est transférée au médiateur numérique dont la mission principale est pourtant celle de l’autonomie.

Les aidants numériques

Les agents qui interviennent dans les Espaces France-Service ont dans leurs missions cette possibilité de faire à la place de l’usager. Cette possibilité est encadrée d’une part par le périmètre même d’un Espace France Service. Ces espaces sont conventionnés avec des opérateurs parfaitement identifiés pour l’accompagnement à des démarches administratives. D’une manière très claire, l’accompagnement ne porte que sur certaines démarches administratives. L’agent n’est pas habilité à accompagner votre démarche d’achat de billet de train via SncfConnect par exemple.

D’autre part, l’habilitation de l’agent s’inscrit dans un cadre juridique clairement établi à travers le dispositif Aidants Connect par exemple. Ce dispositif sécurise la relation entre l’usager , l’agent et l’administration dont dépend la démarche. Ce dispositif, n’est pas adapté à tous les cas de figure de l’urgence socio numérique. En effet, il implique que l’usager dispose déjà d’un email et d’un identifiant France Connect (par exemple qu’il ait crée un compte sur Ameli ou les Impôts). Quand l’usager est réfugié ukrainien cette deuxième condition ne peut pas être remplie. Pour autant chacun comprendra que la situation implique bien que quelqu’un fasse à sa place, ne serait-ce que pour la barrière de la langue.

Dans le secteur médico-social, les agents qui travaillent dans le champ de l’autonomie ou du handicap ont l’habitude de faire à la place des usagers. Que cela soient des gestes d’hygiène ou des actions numériques, la posture reste relativement comparable. Ce qui peut éventuellement faire défaut c’est la formation de ces agents.

D’une manière générale, l’assistance numérique intervient en complémentarité des autres modes d’assistances plus conventionnels du travailleur social. Les fractures se superposent les unes  aux autres. La fracture numérique s’impose comme une condition à aborder pour traiter les fractures sanitaires, alimentaires, sociales, et autres.

Le défi de l’assistance socio-numérique est au final systémique. Il s’agît de repenser tout le champ de l’accompagnement social face au défi de la transition numérique. Ainsi pour avoir des attentes vis-à-vis des médiateurs numériques, il me parait fondamental de bien définir la stratégie que l’on veut aborder. Pour ma part, j’ai formulé des pistes de réflexion pour une vraie stratégie d’inclusion numérique dans un article précédent.

Categories:

One response

  1. Merci pour ce billet. Il serait top aussi d’appuyer la posture d’autonomisation de la médiation numérique en aidant et en défendant l’usage de solution et plate-forme ne créant pas de nouvelles dépendances. Par exemple lors de la création de compte de courriel, éviter les offres des gafam (et assimilables) qui créeront des liens de dépendances (et de traçages).

    Il y a une vingtaine d’années des profs de FRAnçais et de MAthématiques rassemblaient des SOFTs et des ressources en ce sens 😉

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *