8h45. Depuis la veille le Secrétaire d’État au Numérique, Cédric O fait la tournée des plateaux pour promouvoir la plateforme. Kamel, le responsable technique de la plateforme, fait un rapide briefing sur le fonctionnement de la plateforme. Le briefing est rapide, trop rapide. Les questions fusent mais nous n’avons pas le temps d’avoir des réponses. Il est 9h, la plateforme Solidarité Numérique est ouverte, il y a des centaines d’appels qui affluent.
Je chausse mon micro-casque dans lequel j’ai investi pour l’occasion et je décroche mon premier appel. Cela fait 15 ans que je fais de la médiation numérique. J’ai accompagné des milliers de personnes dans des milliers de situation différentes avec des profils complètement hétéroclites. J’ai appris à des enfants de maternelles à dessiner sur un ordinateur, à des cadres à gérer leur profil Linkedin. J’ai travaillé avec des ados de l’école de la seconde chance, des publics allophones, des élus, des femmes,des hommes, de tout horizon social, de tout âge. Je tiens depuis 10 ans un blog sur la médiation numérique. Je donne des formations, effectue des interventions dans le domaine. On me reconnaît une certaine expertise.
Roland appelle depuis Toulon. Il a 84 ans et vit sous respirateur. Le 1er avril (dans 48 heures), il doit renouveler sa mutuelle pour que ses soins puissent être pris en charge. Pour cela il a besoin de fournir des justificatifs administratifs. Son auxiliaire de vie ne peut pas venir du fait du confinement. Roland ne sait pas ce qu’il doit faire au juste. Il m’explique que s’il ne fournit pas ses documents dans les délais, il n’aura plus de mutuelle. Donc plus de soins. Et potentiellement plus d’aide pour son loyer non plus. Il termine l’exposé avec sa voix tremblante et faible.
«Qu’est ce que vous pouvez faire pour moi ?»
Le choc.
Rien. C’est la première chose qui me vient à l’esprit. Je ne peux rien faire pour Roland. Rien ne m’a préparé à ce genre de situations.
Une pause.
Comment puis-je m’y prendre ?
Un œil sur le canal d’entraide de la plateforme.
Beaucoup d’inquiétudes. Et souvent cette même question.
«Qu’est ce que vous pouvez faire pour moi?»
2h du matin.
Je ne trouve pas le sommeil. Je relis le tchat interne.Je prends encore plus conscience des choses.
Qu’est-ce qu’on peut faire? Tant de certitudes qui volent en éclat d’un coup.
Le lendemain.
Suite à nos retours de la veille au soir, on nous confirme que les droits sont automatiquement reconduits.
Je rappelle Roland.
Sa voix est toute tremblante. Il ne pensait pas que j’allais le rappeler. Il était persuadé qu’on l’avait laissé tomber. Il m’a remercié pendant dix minutes au moins.
«Merci pour tout ce que vous faîtes».
Je raccroche.
Une respiration.
Un verre d’eau.
Un autre appel.
C’était il y a un an. C’était hier. Retrouvez d’autres histoires vécues sur cette plateforme dans ce livret.