Il n’est pas toujours facile d’expliquer ce qu’est ou ce que fait un médiateur numérique. Par ailleurs, Axelle Lemaire, secrétaire d’état chargée du numérique a initié une consultation publique pour inviter, pendant trois mois, l’ensemble des acteurs de la médiation numérique à élaborer un cadre d’action commun. Ce cadre a pour ambition d’identifier les initiatives innovantes et de donner de la visibilité aux actions de médiation menées sur le territoire national. Pour ma part, au-delà de mes contributions sur le portail ad hoc, voici quelques tranches de vies rencontrées dans mon Espace Public Numérique. Les identités sont fictives, mais les cas sont rééls. Commençons par Toni.
Aspect numérique
Toni vient me voir pour un problème informatique. Il arrive avec son ordinateur portable. Toni travaille en intérim, quand il envoie des fichiers à des agences, celles-ci ne parviennent pas à les ouvrir. Il est intéressant de noter que jamais aucune agence d’intérim ne m’a consulter pour palier ce problème. C’est à la personne qui est difficulté, en précarité de faire les efforts. Rien d’extraordinaire à la demande de Toni, il envoie des documents en ODT et les agences n’ont ni Open Office ni Libre Office. Plus surprenant, Toni rédige ses CV et Lettres de motivation à partir de WordPad.
La réponse informatique est assez simple : j’installe LibreOffice sur l’ordinateur de Toni et je lui indique comment convertir en un clic son fichier ODT au format PDF pour l’envoyer aux agences d’intérim. Voyant qu’il n’a pas de lecteur de fichier PDF, je lui installe également Adobe Reader. Fin de la partie assistance numérique. Nous sommes ici dans un cas que je qualifierais de classique dans un EPN: un problème simple avec une solution simple.
Aspect Social
Dans le code ADN d’un Espace numérique, il y a cette notion de favoriser l’accès aux personnes les plus éloignées du numérique. Ces personnes sont souvent dans des conditions de vie précaires. Aussi quand on atteint cet objectif, on se retrouve inéluctablement au cœur de solutions complexes, le cas de Toni n’échappe pas à la règle. pendant que je réponds à son besoin technique Toni me sollicite pour imprimer un document sorti au format paysage au lieu du format portrait. Ce document est un CERFA en vue d’obtenir un logement dans le cadre du droit au logement opposable (dite loi DALO). On peut s’arrêter à la réponse informatique. Ceci dit je défends l’idée qu’un médiateur numérique est ancré dans son territoire.
Je conseille à Toni de se rapprocher d’une assistante sociale du Conseil Général pour l’épauler dans sa demande. Et là, Toni me raconte son histoire. Et comme nous ne sommes que tous les deux à ce moment là dans l’EPN nous passons 30 minutes à discuter des choses de la vie, de ces points de bascule qui font que du jour au lendemain on peut se retrouver à la rue, à dormir dans sa voiture. Toni avait besoin de vider son sac.
Et après
En rentrant chez moi, j’ai repensé à Toni , j’en ai parlé à ma femme (qui par ailleurs est éducatrice spécialisée). Je me pose encore la question de savoir pourquoi il a du venir dans un EPN pour imprimer son CERFA. De mon point de vue cette action aurait du être possible depuis le bureau de l’assistante sociale (en l’occurrence). Peut-être n’est il pas suivi ? Dans cette hypothèse dois-je signaler ce cas à mes collègues du Conseil Général ? Jusqu’où accompagner Toni ? Faut il se contenter de répondre à sa demande informatique ? Qu’en pensez-vous ?
6 Responses
Bonjour Loïc,
Des Toni, on en reçoit tous, et tout les jours. Je pense que chaque animateur pourra citer des anecdotes similaires. Pour ma part j’ai la même approche que toi, selon les conditions d’accueil, bien entendu (nombre de personnes présentes, disponibilité personnelle, etc…). Cette approche, en fait, c’est de répondre à une attente/une demande (l’impression, le problème informatique…), la seconde, de répondre à un besoin, lequel n’est pas toujours exprimé par une demande: le besoin de parler, d’exprimer ses craintes, de trouver un interlocuteur qui ne va pas forcément aider, mais au moins échanger et apporter de la chaleur.
Je reviens aussi sur le fait qu’il soit venu te voir plutôt qu’un autre service propre à l’accompagnement social. Je crois que c’est dans l’ouvrage de P.Plantard que j’avais lu une piste intéressante, issu de la thèse de Mickaël Mentec (http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/58/51/32/PDF/TheseLeMentec.pdf). Il dit en substance que l’EPN a une neutralité bénéfique qui favorise la venue des personnes fragilisées: aller dans un centre social, ou au pôle emploi, est stigmatisant. Imprimer un CV dans un EPN donne une liberté, un sentiment d’être autonome et d’avoir de compte à rendre à personne. L’animateur n’est pas là pour juger ou préconiser une démarche. il est disponible humainement et techniquement. Et c’est peut-être aussi bien.
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Bonjour Allison,
effectivement nous avons tous nos « Toni » et sans surprise il y en à d’autres. Ce billet (et ce du même acabit qui devraient suivre) est bien là pour montrer que notre travail n’est pas simple. Il n’est pas simple parce qu’il ne s’arrête pas à la technique (comme pourrait le faire un garagiste). Peut-être qu’en décrivant ces archétypes, les autres (comrendre ceux qui ne font pas notre travail) appréhenderont un peu mieux nos interrogations.
Merci pour les références sur cette thèse, j’aime bien cette notion de neutralité, elle est au final assez logique dans un espace dédié à internet.
[…] Il n’est pas toujours facile d’expliquer ce qu’est ou ce que fait un médiateur numérique. […]
[…] Il n’est pas toujours facile d’expliquer ce qu’est ou ce que fait un médiateur numérique. […]
[…] vous avoir dressé le portrait de Toni, je vous propose celui de Nadège. Comme précédemment, les identités sont fictives, mais les cas […]
« l’EPN a une neutralité bénéfique qui favorise la venue des personnes fragilisées: aller dans un centre social, ou au pôle emploi, est stigmatisant. Imprimer un CV dans un EPN donne une liberté, un sentiment d’être autonome et d’avoir de compte à rendre à personne. L’animateur n’est pas là pour juger ou préconiser une démarche. il est disponible humainement et techniquement. Et c’est peut-être aussi bien. »
> Parfaitement d’accord avec Allison. Mais quelle vraie reconnaissance des pouvoirs publics sur cette réelle approche (mission) sociale des EPN ?
Lorsque l’on voit que la Caisse et dépôt « lâche » des centaines d’entre eux en décembre, on peut se poser la question, surtout en période de crise ou de nombreuses municipalités concernées auront sûrement du mal à passer le cap, au moins financièrement. 🙁