La commission des Lois de l’Assemblée nationale consulte les citoyens sur les contenus haineux ou injurieux en ligne sur Internet. Cette consultation s’inscrit en amont de l’examen de la proposition de loi ayant pour objet de « lutter contre la haine sur Internet », qui est susceptible d’être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale dans les prochaines semaines.
La consultation est ouverte jusqu’au 12 mai.
En guise de consultation citoyenne la Commission des Lois propose un questionnaire dans lequel il n’est pas possible d’exprimer un avis. Dont acte, voici le mien.
Au nom de la Loi
Pour participer à la consultation, la commission des Lois vous devez obligatoirement communiquer des données personnelles. Rien ne le justifie d’une part. A aucun moment la commission des Lois ne vous explique ce qu’elle va faire de ces données. Pourtant c’est cette même commission qui a travaillé sur le Règlement Général de la Protection des Données. Nul n’est censé ignorer la Loi, encore moins ceux qui l’écrivent !

Mooc Atelier RGPD par la CNIL
La proposition de loi
Comme indiqué dans la présentation, la proposition de loi vise à lutter contre la propagation des discours de haine sur internet. Les questions qu’on doit se poser sont simples.
- Est-ce que les mesures proposées par cette proposition de loi vont permettre d’atteindre cet objectif ?
- Comment va t’on évaluer l’efficacité de ces mesures ?
- Quelles conséquences peuvent avoir les mesures proposées ?
La proposition de loi repose sur trois postulats de base.
Nul ne peut contester une exacerbation des discours de haine dans notre société. Dans un contexte de dégradation de la cohésion sociale, le rejet, puis l’attaque d’autrui pour ce qu’il est, en raison de ses origines, de sa religion, de son sexe ou de son orientation sexuelle, connaît des relents rappelant les heures les plus sombres de notre histoire.
La proposition de loi ne s’attaque en aucun cas aux causes mais uniquement à l’une de ces manifestations. Peut-être qu’en renforçant la cohésion sociale, il y aurait moins de discours de haine (y compris sur internet). Ce n’est pas le propos.
Selon un sondage réalisé en mai 2016, 58 % de nos concitoyens considèrent qu’internet est le principal foyer des discours de haine. Plus de 70 % disent avoir déjà été confrontés à des propos haineux sur les réseaux sociaux. Chez les plus jeunes en particulier, le cyber-harcèlement peut être dévastateur. Mais l’actualité, et les révélations de comportements tels que ceux de la « Ligue du LOL » rappellent qu’il s’agit de délits dont personne n’est à l’abri.
Je vous avoue que je suis surpris qu’on construise une loi en se basant sur un sondage de mai 2016 ! Rappelons qu’internet est le principal média de communication, que cela soit pour les discours de haine ou d’amour. On peut aussi faire des sondages qui affirment que 90% des internautes ont vu des déclarations d’amour.On rappelle au passage que des cimetières ont récemment été profanés et je n’ai pas vu de proposition de loi visant à lutter contre la profanation de cimetière…
L’amalgame avec le cyber-harcèlement ne repose que sur des supputations. Il faudrait qu’on m’explique comment les propos homophobes d’une Députée en exercice peuvent avoir un lien avec le cyberharcèlement qui peut éventuellement être dévastateur (sans qu’on sache ce qu’il se cache derrière ce terme) chez les plus jeunes en particulier. Avec de « si » et des « peut-être » qui reposent sur aucune étude sérieuse, le mieux est de supprimer Internet..
En ce qui concerne les opérateurs de plateforme, la proposition de loi vient préciser les obligations reposant sur les plus grandes plateformes et le régime de responsabilité qui en résulte. Ces nouvelles règles ont vocation à être appliquées à toutes les plateformes qui dirigent leurs services vers la France, quel que soit leur lieu d’installation.
Concrètement. Je vois un contenu haineux sur Twitter. je le signale à Twitter grâce à un nouveau dispositif issu de cette loi. Si ce contenu comporte une incitation à la haine ou une injure à raison de la race, de la religion, de l’ethnie, du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap, Twitter a obligation de retirer ou rendre inaccessible ce contenu dans un délai de 24 heures après notification. Les éventuelles réclamations se font auprès de Twitter.
Justice 2.0
Si Twitter (pour reprendre l’exemple) ne se met pas en conformité, il s’expose à une sanction susceptible d’atteindre 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial. On peut sans trop de risque partir du principe que les plateformes vont donc se mettre en conformité. Et donc par le biais de cette loi on va donner un pouvoir régalien aux plateformes. Comme si ces plateformes n’avaient pas suffisamment de pouvoir elles vont devoir rendre justice elles-mêmes. Avec un petit effort supplémentaire, on pourra aussi leur donner pouvoir de police.
Qui est censé jugé que mes propos sont haineux ?
Jusque là cette fonction est confiée à un magistrat, cela n’est plus le cas avec cette loi. Le pire dans tout ça c’est que cela ne va pas permettre de lutter contre la haine. La haine sera toujours présente. Elle sera peut-être moins visible. Tout comme l’indignation, qu’elle engendre.
Tant qu’on a que la haine
Bien sur il nous faut lutter contre la haine sur internet. En fait, il nous faut lutter contre la haine dans la société . Internet est une caisse de résonance de notre société. En l’espèce cette proposition de loi n’apporte rien, si ce n’est plus de pouvoir aux plateformes. Facebook en particulier a déjà un pouvoir important, il n’est peut-être pas utile de le renforcer en l’obligeant (sous peine de sanction) à rendre justice au nom du peuple français.
Internet est un espace public et il est soumis à la législation en vigueur. les propos haineux y sont déjà interdits. On peut certes améliorer le signalement de ces derniers. La plateforme PHAROS est loin d’être un modèle d’ergonomie. On peut assurément renforcer les dispositifs de plainte en ligne. On peut aussi renforcer les moyens de nos magistrats, plutôt que de déléguer une partie de leur pouvoir aux plateformes. La loi Fake News a montré les limites de son application en privant le Gouvernement d’une campagne de sensibilisation. Quand demain un Intelligence Artificielle interdira l’association « Ni Putes, ni soumises » de s’exprimer par ce qu’il y a le mot « putes » et qu’il s’agit d’une injure, quelles seront nos voies de recours ?
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