« La mesure de placement vise à éloigner le jeune de son environnement familial. Or les échanges rendus possibles par les dispositifs socionumériques modifient les distances spatiales et temporelles entre la sphère familiale et celle de l’accueil. » L’ouvrage « Le smartphone des enfants placés » coordonné par Emilie POTIN avec Gaël HENAFF et Hélène TRELLU « révèle la place que prend la correspondance numérique (téléphone, Internet, etc.) dans la relation entre les jeunes et leur famille, ces interactions favorisant une forme de « présence à distance ». Un ouvrage passionnant qui constitue une bonne porte d’entrée pour s’interroger sur les pratiques numériques des enfants placés et leur accompagnement.
L’aide sociale à l’enfance ?
L’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) est chargée d’« apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs, à leur famille, aux mineurs émancipés et aux majeurs âgés de moins de 21 ans confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre » . On compte environ 310 000 enfants confiés à l’ASE chaque année. Parmi eux, une bonne moitié (170 000) est placée par un Juge des Enfants en foyer ou en famille d’accueil.
Plusieurs aspects sont à prendre en considération concernant ces enfants. Il est possible que dans une famille de deux enfants par exemple, un seul des enfants soit placé. Il est fort probable que si les deux enfants sont placés ils ne le seront pas au même endroit (pour des raisons de disponibilité de places). On comprend alors comment le smartphone peut devenir un outil qui va favoriser le lien entre l’enfant placé et le reste de sa famille. Il est à noter que la notion de famille doit être étendue à la famille d’accueil. Par ailleurs, il est possible qu’enfant soit amené à changer de famille d’accueil au long de son placement.
Dans tous les cas , la motivation d’un juge pour décider du placement d’un enfant se fait au regard des dangers que l’enfant pourrait subir en restant dans sa famille biologique (précarité, maltraitance, négligence, carence affective…). Cela doit nécessairement interroger les professionnels sur la façon d’accompagner ces enfants au parcours de vie complexes.Dans les faits, les outils socionumériques viennent interroger les pratiques de professionnels. Tout le propos du livre d’Emilie Potin tourne autour de ces questions, même si le propos de l’ouvrage reste centré sur la correspondance numérique.
Pratiques numériques des jeunes
Les pratiques numériques des jeunes ne se limitent pas à la correspondance numérique. L’ouvrage d’Emilie Potin est focalisé sur cette thématique mais il nous interroge de manière indirecte sur la façon dont les autres usages numériques sont accompagnés. Tous les ados vont sur le net pour regarder des vidéos, jouer aux jeux vidéos, discuter sur Discord ou Snapchat, draguer, s’informer…Certains d’entre eux sont créateurs de contenus sur Youtube, TikTok, Instagram, Snapchat, Twitch…et tant d’autres. Et comme tout autre adolescent, un adolescent de l’ASE a besoin de se faire accepter des autres, ce qui passe par des rituels numériques. Ces questions sont au mieux à peine évoquées par les professionnels de l’aide sociale à l’enfance. A leur décharge, la pression des institutions est souvent orientée sur les risques et dangers et les éducateurs travaillent à flux tendus. On mesure ainsi l’importance d’aborder les questions de médiation numérique dans les formations initiales de ces travailleurs sociaux (et des familles d’accueil également).
Emilie POTIN nous éclaire sur les conditions de réussite . « Plus les instruments technologiques (smartphones, tablettes, ordinateurs…) sont présents dans les espaces collectifs (y compris dans les familles d’accueil), mieux les professionnels peuvent évaluer les communications : certaines sont stimulantes, d’autres le sont moins, certaines méritent d’être encouragées, d’autres, accompagnées, voire supprimées. » Ce que l’auteure préconise pour les communications peut s’entendre à l’ensemble du spectre des usages numérique et être appliqué dans toutes les structures dans lesquelles des éducateurs spécialisés interviennent (y compris pour des publics adultes).
Encore faudrait il qu’il y ait du matériel !Le confinement de mars 2020 a été un révélateur de l’état du besoin. C’est ainsi que le Secrétaire d’Etat à l’enfance , Adrien TAQUET, a du lancé une collecte pour récupérer 10 000 ordinateurs.
Il manque +10 000 ordinateurs pour permettre à chaque enfant de l’Aide sociale à l’enfance de poursuivre sa scolarité en ligne.
Avec @cedric_o nous lançons l’opération #DesOrdisPourNosEnfants: entreprises, les enfants ont besoin de vous. @medef
RDV sur➡️ https://t.co/uafcrv3sM4 pic.twitter.com/bLAPd8QHxZ
— Adrien Taquet (@AdrienTaquet) March 27, 2020
Émancipation Numérique
Si l’on considère que le rôle du médiateur numérique est de faire du numérique opportunité pour tous, il n’y a évidemment aucune raison que les enfants placés de l’aide sociale à l’enfance échappent à ce principe, bien au contraire. Comment mener des actions d’éducation aux médias, de créativité numérique ou de loisirs numériques avec ces jeunes ? Ces activités peuvent apporter une parenthèse dans le quotidien tourmenté de ces enfants au-delà de leurs apports traditionnels. Enfin, il n’est pas illusoire d’imaginer que les éducateurs spécialisés se saisissent de ces pratiques numériques, et en particulier des jeux vidéos comme outil thérapeutique. Bien entendu cela suppose un changement de paradigme particulièrement important et cela ne va pas se faire sans certaines réticences. Là encore , la capacité du médiateur numérique à accompagner une structure dans sa transition numérique peut se révéler un outil précieux. Au mieux quand une équipe investit de manière positive les usages numériques c’est pour aborder la création de CV ou les démarches administratives.
Inclusion Numérique
La médiation numérique est définie comme un outil favorisant l’émancipation numérique de l’individu. Cette émancipation s’entend sous l’angle économique, sous l’angle social et sous l’angle culturel. Les enfants placés de l’aide sociale à l’enfance ont besoin, peut-être plus que d’autres, de bénéficier de cet apport. La fondation Abbé Pierre estimait en 2019 qu’un quart des SDF était un ancien enfant placé de l’aide sociale à l’enfance (voir en lien). Si l’inclusion numérique consiste bien à accompagner les personnes les plus éloignées du numérique, alors les enfants placés de l’Aide Sociale doivent clairement figurer parmi les publics prioritaires. La construction de pistes de réflexions et de réponses peut s’intégrer au sein d’une politique départementale d’inclusion numérique. En effet, le service de l’aide sociale à l’enfance est un service placé sous l’autorité du Président du Conseil Départemental. L’ouvrage proposé par Emilie POTIN s’avère une ressource précieuse pour poser les bases de cette réflexion.