« Solidarité numérique bonjour. » A ce jour plus de 12 000 appels ont été passés à la plateforme solidarité-numérique, une plateforme d’entraide numérique par téléphone née dans l’urgence de la crise sanitaire. J’ai eu l’opportunité de faire partie de cette aventure dès le début en tant que médiateur numérique. J’ai fait partie de ceux qui décrochaient le téléphone pour répondre aux demandes. Au-delà du service rendu aux citoyens, ce qui s’est passé en termes de médiation numérique est fondamental.
Charlie Hebdo.
Il y a cinq ans, les locaux de Charlie hebdo étaient la cible d’un attentat terroriste. Très vite, un groupe de médiateurs numériques se constitue. L’horreur et l’émotion est à son comble. Dans le weekend, le site EducAttentats est mis en ligne. EducAttentats est un site participatif, initiative conjointe d’acteurs de la médiation numérique, mis en ligne par Média-Cité. En réaction aux attaques de Paris, il propose des outils et des « kits » éducatifs pour décrypter l’information et dénoncer les rumeurs et fausses images. Les acteurs de la médiation numérique se coordonnent sur un groupe privé. Ce groupe a pour objet de collecter les outils, démarches, kits et stratégies pour aider les parents, les éducateurs, les enseignants et les médiateurs dans la situation de crise liés aux attentats de Paris.
Cinq ans plus tard le périmètre du groupe est redéfini dans le cadre de la crise du Coronavirus. L’un des objectifs du groupe est la création d’un service de médiation numérique à distance sous forme téléphonique (via internet) et visioconférence pour des personnes confinées. Quelques jours plus tard,le Ministre Cedric O lance officiellement la plateforme « Solidarité Numérique ».
Dans la ruche.
Le dispositif se décompose en deux parties. D’une part un site internet avec des ressources en ligne. Ce site propose des tutoriels, des articles et des liens à destination des publics autonomes. Certaines de ces ressource existaient déjà avant la crise sanitaire. . D’autres ont du être réadaptées ou crées spécifiquement pour l’occasion. Des médiateurs numériques se sont spécifiquement assignés à cette fonction de création, curation de contenus. 400 ressources ont été agrégées sur le site. 200 tutoriels ont spécifiquement été crée. Plus de 2000 médiateurs numériques se sont mobilisés. Jamais aucune autre initiative n’avait mobilisée autant de médiateurs numériques.
Simple comme un coup de fil
L’autre partie du dispositif est organisée autour d’une plateforme téléphonique.Le principe est relativement simple vous composez le 01 770 772 372, un médiateur numérique décroche et vous accompagne gratuitement dans vos usages numériques. J’ai fait partie des répondants dès le premier jour de la mise en ligne de la plateforme. Le répondant analyse votre demande et apporte la réponse adaptée. Bien sur, le répondant ne sait pas tout. Il y a un canal de discussion interne pour venir en aide aux répondants. Si je suis sollicité sur une question à laquelle je ne sais pas répondre, je me réfère à ce canal interne pour trouver de l’aide. Pour répondre à une question, vous avez un médiateur au téléphone et une dizaine d’autres disponibles sur un canal d’aide. Si le canal d’aide est sollicité, alors une fiche d’aide est créée. Puis, cette fiche est déposée dans la base de connaissance interne pour pouvoir renseigner un répondant dans le cas où la situation se reproduirait.
Autogestion
Tout le dispositif fonctionne sur le volontariat et la disponibilité des uns et des autres. Si vous ne souhaitez pas répondre au téléphone et préférez réaliser des tutoriels, il n’y a pas de soucis.Il y a évidemment une équipe de coordination et d’animation. Ajoutons à cette équipe de coordination, l’équipe de développeurs de la plateforme en tant que telle. L’outil présenté le premier jour n’a rien à voir avec celui d’aujourd’hui. Je ne peux qu’imaginer le nombre d’heures passées à concevoir et surtout adapter la plateforme. Enfin, il y a également une équipe communication pour promouvoir le travail effectué sur la plateforme.
En ce qui me concerne, j’ai d’abord été dans les « répondants » avant de me consacrer à une mission particulière : documenter. J’ai ainsi collecté une trentaine d’histoires de médiation numérique liée à cette plateforme. Vous pouvez écouter certaines de ces histoires ici ou retrouver des témoignages sur ce site . Toutes ces histoires sont riches d’enseignement. J’aurai l’occasion d’y revenir dans un prochain article.
Et après ?
Depuis quelques jours, nous reprenons petit à petit le cours normal des choses. Pour autant les appels continuent d’arriver sur la plateforme solidarité numérique. Le travail accompli est extraordinaire. Le sens du dévouement des médiateurs numériques est exemplaire. Le Secrétaire d’état au numérique, Cédric O, a salué ce travail au cours d’une de nos réunions. Il a émis l’hypothèse que ce service perdure au-delà de la crise. Cela a du sens, cela me paraît pertinent. Cet outil de médiation numérique est complémentaire aux autres formes de médiations numériques déjà existantes. Pendant ces deux mois j’ai vu des collègues assurer des directs sur Discord, organiser des webinaires sur Facebook. Moi-même je me suis essayé à un atelier en ligne sur JitSi. Il y a eu beaucoup d’initiatives de la part de l’écosystème de la médiation numérique et la plateforme téléphonique en est un bel exemple.
Sous quelle forme peut perdurer cette plateforme ?
Pour en garantir la pertinence, il faut à mon sens des agents qualifiés, des agents aux profils hétéroclites et bien entendu des agents rémunérés. Je vois dans cette plateforme la première brique d’un service public de la médiation numérique. Aussi, il me paraîtrait pertinent que les médiateurs numériques de cette plateforme soient par conséquent des agents de l’État.
Le Gouvernement déploie depuis plusieurs années une politique d’inclusion numérique. La plateforme Solidarité Numérique peut être un atout dans cette politique. Si beaucoup d’appels proviennent d’un même territoire, cela doit servir de signal pour améliorer le schéma local des usages numériques. Avec la mise en place d’un service pérenne de médiation numérique par téléphone, on peut craindre que certains territoires ne déploient pas de stratégie locale d’inclusion numérique, se défaussant sur la plateforme.
One response
J’en discutais encore hier lors d’une interview sur la médiation numérique, cette plateforme a été une réponse massive, rapide et efficace à un problème qui date de plus de 10 ans.
L’émergence de cette plateforme est l’aveu d’échec des politiques d’inclusion numérique.
De plus, les structures sont toujours frileuses et préfèrent miser sur du Service Civique, pas cher, facilement corvéable et rapidement remplaçable. Le médiateur numérique c’est un niveau Bac+2, un salaire en conséquence mais une connaissance et une qualification derrière. Soit sur la plateforme les médiateurs deviennent professionnels et non plus bénévoles et on aura une solution pérenne, soit elle finira par se déliter progressivement car les médiateurs vont reprendre leur rythme de travail comme avant la crise.
Et cette crainte de voir les structure « refiler le bébé » à la plateforme dès qu’une médiation numérique devient nécessaire, c’est un gros risque.