Quand on aborde, l’impact du numérique dans le travail social, on se retrouve vite confronté à de nombreuses interrogations des travailleurs sociaux. La dématérialisation à marche forcée est source de beaucoup d’inquiétudes. L’accès aux droits paraît pour beaucoup conditionné à l’accès à internet. Les personnes les plus en difficulté se retournent alors vers leurs interlocuteurs traditionnels qui se retrouvent parfois débordés par la demande. Les peurs des uns nourrissent les angoisses des autres. Les angoisses de ces derniers amplifient les peurs des premiers. L’enjeu premier, en terme de médiation numérique, est de briser ce cercle infernal.
Formation
Encore récemment j’animais une session sur les mutations des pratiques professionnelles induites par le numérique dans le champ du travail social. Intervenant pour le compte de la Fédération des centres Sociaux Nord Pas-de-Calais, j’ai été surpris par l’auto-évaulation des professionnels. J’ai eu le sentiment d’avoir face à moi une trentaine de participants dont aucun n’avait jamais utilisé un ordinateur. Il n’en est rien bien entendu. Pour autant les besoins de formation informatique sont réels. De l’utilisation d’un tableur, à celle d’un logiciel de création graphique, en passant par les logiciels métiers et les outils et applications spécifiques à certains usages, le champ de la formation continue doit répondre encore mieux aux besoins de formation informatiques.
Accompagner
La formation est un corolaire non-négociable en matière de transition numérique. Trop de choses ont été faites sur le tas sans réelles compétences. Beaucoup plus encore ont été faites sans réfléchir à l’impact. L’exemple le plus percutant en la matière est la page Facebook.
Un centre social créé une page Facebook. Quel en est l’objectif ? Communiquer auprès des adhérents ou atteindre de nouveaux publics sont deux objectifs différents. Qui va animer cette page ? Une personne dédiée à la communication , un personne seule ou plusieurs personnes à la fois ? Qui est responsable de la cohérence des contenus ? Comment modère t on les commentaires ? Qui répond aux questions des internautes ? Sur quel temps de travail ?
Quand vous organisez une sortie à la base de loisirs et que vous communiquez à ce sujet pour que cela profite au plus grand nombre, les réponses s’obtiennent en cinq minutes par téléphone, dans la demi journée par mail, et parfois jamais par Facebook….
En direct de la sortie vous publierez des photos sans nécessairement vérifier le droit à l’image et en utilisant un téléphone personnel (de meilleure qualité que l’appareil photo numérique qui a 10 ans d’âge) sur lequel vous stockerez donc tranquillement les photos de mes enfants sans vous soucier du RGPD.
La transition numérique prend du temps et nécessite une vraie volonté de transformation interne. Un médiateur numérique saura accompagner votre structure dans la conduite de changement.
Guider
Les éléments de langage des différentes officines sont rodées pour focaliser notre attention sur les 13 millions de Français exclus du numérique. On s’arrête à un chiffre on rajoute un mot : e-inclusion qu’on se garde d’expliquer. On rappelle l’objectif France 2022 et la dématérialisation des services publics et on laisse les associations d’idées opérer toutes seules.
On oublie que nos caissières sont remplacées par des automates, que nos jeunes sèchent les cours pour nous livrer des pizzas en vélos, qu’on ne tient guère cinq ans à être exploité chez le géant du commerce en ligne, que nos données de santé pourront être confiées à des Gafam, que l’on réduit notre liberté d’expression, que nos travailleurs sociaux pourront être remplacés par des intelligences artificielles.
Les choix numériques ne sont pas neutres. Ils le sont encore moins quand on travaille dans une structure à vocation sociale qui s’appuie sur les fondements de l’éducation populaire. La question qui se pose à nous est « quelle société voulons nous bâtir ? » La question à laquelle un médiateur numérique peut répondre est « comment bâtir une société inclusive par le numérique ? ». Tout est affaire de sens. Le numérique viendra servir le sens de l’action pour peu que le travailleur social ait toujours ce sens en tête.
bravo, belle analyse. Nous avons les deux pieds dans ces paradoxes et complexités.
Je reprends votre analyse en article sur notre site, sauf si cela vous pose problème.
Cordialement
Bonjour. Merci pour la citation. Cela ne me pose aucun problème. L’ensemble de ce site est placé sous licence CC BY NC SA . Cela signifie que vous pouvez reprendre son contenu à condition d’en mentionner l’auteur original, que vous pouvez modifier et redistribuer ce contenu à l’exception d’utilisation commerciale et que la nouvelle oeuvre crée reprenne les mêmes droits que celle-ci. Bonne journée à vous.
Ah quel grand débat… Confronté au quotidien au manque de formation des professionnels du social, n’oublions pas de distinguer 2 éléments : animation et social.
Des centres sociaux qui font partie de mon univers professionnel, peu sont équipés pour communiquer vers l’extérieur. Et leurs missions sont d’accueillir les publics pour des animations, ou organiser des permanence pour les travailleurs sociaux.
Le dispositif « promeneurs du net », avec toutes limites qu’il comporte, est une prolongation logique du métier d’animateur sur l’espace virtuel. Un promeneur n’est pas dans l’obligation de maîtriser moult outils, mais sait accueillir son public aussi sur la toile pour répondre aux même problématiques qu’en présentiel, et orienter vers d’autres professionnels le cas échéant. Il ne surveille pas, il veille. Il n’est pas le superman du web, il crée du lien.
Cependant, restent les nouvelles pratiques à évaluer, découvrir, et informer ces animateurs. Les dérives qui en découlent également. Il y a de quoi faire…
Sur le champ du social, restent aussi beaucoup d’éléments à apporter aux professionnels. En allant sur les différents champs de la démarche administrative en ligne et la fameuse RGPD, l’animation de pages FB également… Sachant que bien souvent, l’action se passe dans l’urgence, et la prise de risques sur le mélange des genres en terme d’adresse mail, d’ouverture de comptes web, est rémanente.
Intervenant régulièrement en terme de formation auprès de l’animation et du champ social, les enjeux ne sont pas les mêmes. Mais la nécessité de former est là, oui ! Avant de passer à des interrogations de communication, de maîtrise logicielle, des outils du quotidien, l’enjeu numérique d’internet est l’urgence.
En prenant de la hauteur et en proposant des formations de 1 à 2 jours sur les données personnelles, la citoyenneté numérique, les leviers des fake news et théories du complot, et le schéma économique du web (simplifié bien sûr), les questions de maitrise des usages (logiciels, réseaux sociaux) viennent de facto s’imposer dans un parcours formatif, mais plus tard. Détenir une base de compréhension et de connaissance ouvre le champ à l’usage plus ciblé des logiciels et autres lignes éditoriales de pages blog, ou réseaux sociaux.
Le numérique a totalement modifié les enjeux et pratiques de ces 2 univers distincts, social et animation. Et partir des besoins professionnels, à mon sens, ne met qu’un pansement sur une jambe de bois, ou au pire, donne l’impression d’une montagne infranchissable.
L’entrée par les pratiques individuelles, même en formation professionnelle, sur le champ généraliste d’internet permet la bascule des enjeux vers le champ des pratiques en institution.
Ceci n’est qu’un regard, un retour d’expérience. En rien je ne détiens de vérité absolue sur le sujet.