Parfois, je dois vous l’avouer je suis circonspect. J’écoutais sur un réseau social professionnel un collègue expliquer son idée pour venir en aide aux publics les plus éloignés du numérique. Le constat est assez simple, ces derniers font d’abord face à une fracture d’équipement. En réponse à cette problématique, il suffit tout simplement de les équiper pour pallier cette fracture d’équipement. Et pour y parvenir, l’idée est de mettre en place une boucle vertueuse d’économie circulaire dans laquelle nous allons recycler des appareils pour les redistribuer à ceux qui n’en possèdent pas. Conscients que l’habit ne fait pas le moine , nous allons de surcroît les accompagner à prendre en main l’outil et ainsi réduire la fracture numérique. Inclusion numérique, économie circulaire, empreinte numérique, impact social, le projet coche toutes les cases pour trouver un financement des pouvoirs publics. Encore faudrait-il qu’ils répondent aux besoins des usagers..
En terre connue
Qu’évoquent pour vous les termes de publics empêchés , précaires, éloignés du numérique ? Ce ne sont peut-être que des formules sémantiques mises sur un dossier pour obtenir un dossier de subvention dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté. L’autre jour, j’étais dans une réunion sur l’accès aux soins. Les personnes accueillies sont des personnes sans ressources pour 80% d’entre elles. Elles ne touchent pas le RSA, ni le minimum vieillesse, ni rien d’autres. Pour la plupart d’entre elles, elles survivent par notre aumône dans la rue. Elles n’ont pas toute une place en hébergement, et dorment parfois dehors. Il y en a un à côté de chez moi qui dort dans une tente Quecha sur le parking d’Aldi. La tente est posée sur une palette de bois. L’homme vient des pays de l’Est, de Roumanie, je crois. J’ai essayé d’échanger plusieurs fois avec lui mais c’est compliqué. Au-delà de la barrière de la langue, il est souvent très alcoolisé. Les quelques euros qu’il récupère chaque jour sont investis dans l’alcool.
Exclusion sociale et numérique
Dans une autre structure l’équipe avait souhaité présenté un focus sur la population féminine, 200 femmes. A force de partenariats, de mobilisations des personnels et des bénévoles la structure m’explique comment elle a pu distribuer 40 culottes menstruelles réutilisables à 20 femmes. Deux culottes par femmes, pour vingt femmes. Naturellement, j’ai posé la question des 180 autres. Rien. Pour l’instant. Mais peut-être que dans le cadre du pacte des solidarités , il sera possible d’envisager de reproduire l’action…Et du coup si je compte bien, il faudra 10 ans pour que toutes ces femmes aient deux culottes (et c’est largement insuffisant). Franchement , je ne suis pas certain que proposer des ordinateurs reconditionnés soit la réponse la plus appropriée à apporter. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire. Cela signifie que pour les exclus, l’inclusion numérique n’est qu’un volet de l’inclusion sociale et que l’approche ne peut-être que globale.
Recycler des PC
D’un côté nous avons des publics qui ne sont pas équipés. De l’autre nous avons des entreprises et des collectivités qui changent leurs parcs informatiques régulièrement et qui ne savent pas quoi faire de leurs matériels réformés (mais fonctionnels). En 2021, à la sortie du confinement j’ai planché sur un projet à Douai dont l’objectif était de mettre en relation l’offre et la demande. Pour la circonstance, j’avais imaginé que le DouaiLab soit le Tiers Lieu des Médiations (sociales, numériques et environnementales). Le projet n’a pas dépassé le stade de la présélection pour être incubé sur site, faute de rentabilité économique. Avec le recul, il y avait beaucoup d’éléments à reconsidérer. Et ça tombe bien, parce que justement j’ai inscrit à ma nouvelle feuille de route un recyclage de matériel informatique en 2025.
Équiper, outiller, accompagner
De mon point de vue, il y avait trop d’écueils à soulever pour les donner en direct à l’usager. Filer 300 ordinateurs au secours catholique pour les 300 familles dépourvues, c’est simple. Sauf que ces familles n’ont toujours pas à manger, pas de toit décent, pas de vêtements pour leurs enfants et j’en passe. Quand il n’y aura plus qu’un ordinateur à donner, alors j’aurais bien fait mon travail : répondre aux besoins de l’usager. Du coup mes appareils recyclés j’ai opté pour les redistribuer à des structures tierces. Parmi elles, il y a des Ephad, des Chantier d’insertion ou des Maison d’enfants à caractère social. Toutes ces structures sont, au mieux sous équipées. L’avantage, c’est qu’il va falloir accompagner chacune de ces structures pour intégrer le numérique dans leurs pratiques professionnelles et en faire un outil de médiation. J’ai p la conviction que cela va permettre d’aborder cette question de l’accompagnement numérique de manière intégrée, dans une logique de projet de structure. Et pour certaines structures il y a un gros travail pour faire de la médiation numérique un vecteur d’émancipation des publics accompagnés.
Ne jamais perdre de vue le sens qu’on donne à son travail.
Salut,
Dans le recyclage il y a aussi des enjeux politiques et économiques, et trouver un modèle durable qui ne soit pas basé sur la charité est complexe.
Former à l’utilisation d’un pc (donné ou pas) est le même travail, mais avec des enjeux différents, pour une structure et un particulier.
Et les deux peuvent être fait en parallèle.
Le sens que je donne à mon travail est dans l’accompagnement à la prise d’autonomie et l’éducation au choix, pas fournir des culottes ou à manger. Mais je travaille avec les structures qui font ce métier pour que le mien soit en accord avec le leur, et réponde aux besoins des personnes et des structures.
Je n’y vois pas d’antinomie, mais plutôt une complémentarité.