Du Black Friday au Dark Friday

Chaque année, au cœur de l’automne, revient ce rituel commercial auquel personne n’échappe vraiment : le Black Friday. Dès novembre, les boîtes mail se remplissent, les publicités clignotent et les “bons plans” envahissent les écrans. Ce phénomène, né dans les années 1960 aux États-Unis, a pris en France une ampleur inattendue, notamment sous l’impulsion d’Amazon qui en a fait un pilier de son modèle économique. En une quinzaine d’années, le Black Friday s’est imposé dans le paysage français.
Mais à mesure qu’il gagnait en visibilité, le phénomène révélait également ses zones d’ombre.Derrière l’euphorie apparente et les étiquettes barrées, se cache une réalité autrement plus complexe, et souvent bien plus inquiétante. C’est cette face cachée que l’on appelle de plus en plus volontiers le Dark Friday.

La tempête logistique

A Paris, pendant le Black Friday, ce sont dix fois plus de colis qui circulent.On passe de 200 000 livraisons à 2,5 millions. 25 % des moins de 30 ans effectuent des commandes durant cette période. C’est une véritable déferlante. Pour répondre à cette demande explosive, les transporteurs redoublent d’efforts.
Les camionnettes, parfois à moitié vides faute d’optimisation possible, traversent les villes en continu pour tenir la promesse sacrée de la livraison “dès demain”. Derrière cette performance, se cache la construction de gigantesques entrepôts aux quatre coins du territoire afin de rapprocher les produits du consommateur pour accélérer la livraison.
La construction de ces entrepôts a contribué à artificialiser les sols, à consommer de l’espace, et transformer des paysages. Le Black Friday n’est pas seulement un évènement commercial :
c’est une machine logistique tentaculaire, couteuse en énergie et en infrastructures.

Les livreurs

Des milliers de livreurs sont mobilisés pendant cette période. Leurs journées peuvent s’étendre de 6 h du matin et terminent après 21 h, du lundi au samedi. Leurs tournées peuvent atteindre 200 colis par jour, une cadence difficilement soutenable. Ils officient le plus souvent sous le statut d’’auto-entrepreneur. Ce qui implique l’absence de congés payés, de protection sociale et encore moins d’heures supplémentaires quand la tournée déborde. On oublie trop souvent que derrière le clic rapide et la livraison express, il y a des corps qui s’épuisent, des vies accélérées, des pressions constantes. (Voir à ce sujet l’excellent documentaire les travailleurs du clic réalisé par Henri Poulain)

En 2024, une directive européenne a été adoptée pour mieux protéger les travailleurs des plateformes.
Mais elle n’a pas encore été transposée en droit français (ce qui au passage permettrait à l’Etat d’engranger des cotisations sociales). Les livreurs du e-commerce restent donc dans l’ombre du système, essentiels mais invisibles.

Et après l’achat ?

De nombreuses études ont montré que les retours massifs du Black Friday posent un véritable casse-tête aux vendeurs.Comme le stockage coûte cher, comme le reconditionnement coûte cher,
et comme la revente à très bas prix peut nuire à l’image de la marque… une part importante des invendus et des retours est purement et simplement détruite. Dans une société qui cherche à réduire son impact écologique, ce gâchis industriel semble presque irréel. En ce qui concerne les produits électroniques, un rapport de l’ONU a estimé que seuls 20% des appareils jetés étaient réellement recyclés.

Les récents débats sur la Fast Fashion ont mis en lumière ces enjeux. Chacun garde en mémoire le terrible effondrement du Rana Plazza en Inde. Cet tragique évènement qui symbolise une industrie mondialisée sans limites, qui exploite, détruit et tue, aurait du servir électrochoc. Malheureusement, le déclic n’aura été que de trop courte durée. L’arrivée de Shein dans les magasins du BHV montre à quel point les difficultés sont encore immenses.

Un prix à payer trop élevé ?

A chiffre d’affaires équivalent, les entrepôts Amazon emploient 2,2 fois moins de salariés que
les commerçants traditionnels, selon la note d’analyse Mounir Mahjoubi, datée de novembre 2019. L’ancien ministre précise : « Amazon détruit plus d’emplois qu’elle n’en crée. Son activité retail, hors marketplace, a potentiellement supprimé 10 400 emplois dans le commerce de proximité (en équivalent temps plein). Marketplace comprise, ce serait 20 200 postes en moins. Le solde entre les créations
et les destructions est nettement négatif, avec un déficit de 7 900 emplois ». (Rapport de l’Assemblée Nationale-Juillet 2020).

Autrement dit, les promotions massives, les prix cassés et la livraison à toute vitesse fragilisent nos centres-villes, nos commerces indépendants et tout un écosystème qui repose sur la rencontre et la vie locale. Les bénéfices du Black Friday ne profitent donc pas à l’économie réelle. Ils se concentrent sur quelques géants du numérique. En 2025, selon Bloomberg Billionaires Index, Jeff Bezos serait la 4ᵉ fortune mondiale avec un montant estimé à 252 milliards de dollars.

Du consommateur au consomme acteur

Face à ce constat, certains choisissent le boycott. D’autres préfèrent réduire leurs achats. D’autres encore cherchent des alternatives. Mais avant d’agir, il faut d’abord comprendre. Comprendre comment cette mécanique s’est imposée, comment elle fonctionne, et quel est son coût réel – pour les personnes, pour les territoires et pour l’environnement.

C’est tout l’enjeu du Café du Web “Black Friday” : un temps d’échange convivial, où l’on décortique ensemble les dessous de cette période frénétique, où l’on apprend à lire les promotions autrement, et où l’on explore des pratiques plus sobres et plus alignées avec nos valeurs.

Si vous souhaitez organiser un Café du Web « Black Friday », contactez moi

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